Copie conforme

Jouvet en double, c’est un régal !

D’une grande habileté, d’une grande efficacité, narquois, goguenard, spirituel, Copie conforme est bien des coudées au dessus du pâlot Entre onze heures et minuit, d’Henri Decoin qui lui rend, d’ailleurs, un hommage direct en le citant à son tout début. Clin d’œil de révérence, qui ne prend même pas la peine de dissimuler les emprunts dans l’intrigue et dans la construction du film. C’est même assez curieux, tant il y a de scènes et de situations à l’identique, par exemple l’échange (si l’on peut dire) des deux sosies lors d’une soirée dans un cabaret chic, la belle amie (Suzy Delair ici, Madeleine Robinson là) ne s’apercevant de rien, mais s’étonnant tout de même de la douceur et de la bienveillance nouvelles de son amant…

Donc – vieil artifice romanesque – deux hommes aux vies éminemment dissemblables et à la personnalité antagonique se trouvent être d’une parfaite ressemblance physique ; l’un d’entre eux, Manuel Ismora, est un escroc d’une redoutable habileté dont la couverture sociale est un studio de photographie luxueux ; l’autre, Gabriel Dupon, un vieux garçon minable, représentant en boutons incassables, rudoyé par son patron. L’escroc, découvrant fortuitement l’existence de son double, comprend vite quel merveilleux alibi il tient là, quelle garantie indiscutable il tient. La seule difficulté consiste à faire adopter par l’étriqué Dupon les manières pleines d’aisance d’Ismora, favorisé par la fortune et aimé des femmes.

Après des péripéties bien fichues, les choses évolueront comme de juste vers la disparition de l’arrogant Ismora… et son remplacement complet – à la tête de la bande et dans le cœur de la belle – par le falot Dupon qui a pris, presque malgré lui, une haute dimension.

3814907496-48-louis_jouvet_theredlistOn le voit, c’est gentillet et prévisible et ce n’est pas là qu’est l’intérêt de ce bon petit film de série, qu’il n’est pas inutile de voir grâce à la performance délicieuse de Louis Jouvet, qui interprète de façon bluffante le double rôle de l’escroc et de son duplicata. C’est vraiment à regarder comme une leçon de talent, un cours de comédie : comment le même acteur peut-il porter, au fil des séquences, et avec une identique puissance de conviction des personnages totalement différents ? Un vieux châtelain plein de morgue qui vend à un couple de profiteurs du marché noir un château historique propriété de l’État, un déménageur parigot blagueur aux mains baladeuses, un Scandinave à la mine grave censé vouloir acheter à un diamantaire anversois des pierres précieuses… et aussi un désinvolte photographe mondain, ou un navrant employé parcimonieux. Jouvet est extraordinaire : d’une façon de se tenir, d’un regard, d’une inflexion, d’un mouvement des mains il définit des silhouettes toutes semblables et toutes différentes…

Leçon éminente d’un acteur majuscule, ici bien servi par le charme un peu grassouillet de la charmante Suzy Delair et par quelques comparses rarement décevants (la glougloutante Jane Marken ou l’alors bien jeune Jean Carmet). Musique de René Cloërec (qui a déserté son habituel complice Claude Autant-Lara), scénario de Jacques Companeez et surtout dialogues d’Henri Jeanson, avec quelques perles bienvenues.

Amusant et sans prétention, mais plein de qualités…

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