Douze hommes en colère

Mea maxima culpa.

J’aurais bien aimé être de l’avis de tout le monde et porter aux nues Douze hommes en colère, célébrés sur tous les tons, acclamés par la critique et le public. Trois Oscars, l‘Ours d’or de Berlin, une réputation de film à la fois passionnant, tendu, intelligent et humaniste. Et puis Henry Fonda à un de ses (multiples) sommets, la chère vieille sale gueule de Lee J. Cobb et celle, à peine moins notoire de Martin Balsam, le détective de Psychose. Certes, si tout le film avait été tourné avec des acteurs que je connaissais et reconnaissais (comme dans Marie-Octobre, par exemple), je me serais senti plus à l’aise, mais je ne peux pas imputer à un film étasunien de la fin des années 50 mes insuffisances sur 9 des tronches présentées.

C’était la première fois que je voyais le film, ce qui permet souvent, le regard restant attentif, d’être séduit sans subir les déceptions des redécouvertes réchauffées. Et je n’ai pas marché ; et je me suis même passablement ennuyé. Est-ce que ça vient de mon aversion habituelle pour le théâtre, dont vient évidemment le film ? C’est possible en partie, même si le réalisateur Sidney Lumet parvient à peu près correctement, avec une certaine habileté à faire un peu oublier l’ennuyeux confinement dans l’exiguïté d’une pièce étouffée de chaleur les tempêtes qui se déroulent sous tous ces crânes. Crânes qui – je le remarque cum grano salis et au vu des débats de notre époque – sont tous masculins et blancs. Mais là n’est pas la question.

Je crois que ce qui me gêne, c’est le caractère pesamment démonstratif du film, son côté œuvre à thèse ; et ce n’est évidemment pas l’orientation de la thèse défendue qui m’agace. Je tiens depuis longtemps qu’un bon roman, un bon film peuvent argumenter sur tout et n’importe quoi. C’est le talent qui fait la différence et je ne suis pas ami de la censure, d’ailleurs le plus souvent contre-productive. D’autant que le récit des incertitudes qui pèsent sur la culpabilité d’un homme qui encourt la peine de mort n’est pas, en soi, un mauvais combat.

Dans Douze hommes en colère, lorsqu’avec les jurés du procès on entre dans la salle des délibérations, on sait que la peine de mort est évidemment promise au jeune homme qui a tué son père. Mais dès que le Juré n°8 (Fonda, donc) a manifesté ses premiers doutes puis a commencé à saper les faciles certitudes de ses compagnons, on sait que la délibération se terminera à son avantage. À tout le moins, on le sait trop.

Dès lors le film – et c’est aussi en cela qu’il est assimilable à une pièce de théâtre – devient une sorte d’exercice de style très adroit, très brillant même à plusieurs reprises, fondé sur la détermination de N°8 et son sens de la manœuvre. Habilement, il ne s’attaque à aucun moment aux personnalités des autres Jurés, même aux plus outrancières, mais il sème le doute et décortique patiemment. Humaniste scrupuleux, il dénote au milieu d’un conglomérat de braves gens réunis par le hasard, bien ennuyés d’être là et qui ne se préoccupent d’en finir le plus vite possible pour se séparer et courir à leurs occupations.

Tout ça est un peu grandiloquent et très verbeux ; mais c’est le propre du genre. De façon plus substantielle et au vu des retournements successifs des opinions des Jurés, c’est un monument de culpabilités accumulées, anglo-saxonnes et protestantes. Repentances et grattage des plaies, finalement. Ce qui est aujourd’hui trop actuel.

Leave a Reply