Drôle de frimousse

Paris, reine du Monde.

Quel film charmant, délicat, gracieux, léger, venu de l’enchanteur Stanley Donen et d’États-Unis qu’on appréciait d’autant plus qu’ils rendaient souvent hommage au Vieux Monde civilisé, montrant bien qu’ils comprenaient d’où ils étaient issus et quelle dette ils nous devaient. Comme elle est agréable cette promenade dans un Paris encore bien noir de la suie d’avant André Malraux, mais plein de charme, de sourires et d’allégresse ! Capitale de la beauté, du luxe, du raffinement, modèle pour tous les étrangers qui y débarquaient, émerveillés de découvrir, de Notre-Dame à la Tour Eiffel un large demi-millénaire d’Histoire et d’intelligence… Et même quand Donen se montre un peu narquois envers la faune germanopratine ou montmartroise et ses existentialistes crasseux, il le fait avec un sourire amical et tendre.

L’intrigue est absolument insignifiante, trempée d’eau de rose, prévisible dès les trois premières minutes ; ce qui n’a naturellement aucune importance puisqu’on n’attend pas de ce genre de films des ouvertures existentielles majuscules. Le grand magazine Quality, dirigé d’une main de fer par Maggie Prescott (Kay Thompson), femme d’affaires et femme de goût, dont la vie semble entièrement consacrée à son magazine (qui dispute à Vogue et à Harper’s bazaar une sorte d’imperium sur les élégantes américaines) cherche, pour damer le pion à ses concurrents, une idée nouvelle. Ce sera la survenue, au milieu des interchangeables mannequins professionnels guindés d’une sorte de vilain petit canard, qui sera évidemment un cygne noir magnifique, étincelant. Un cygne qui aura d’emblée séduit le photographe blasé et hédoniste Dick Avery (Fred Astaire) qui n’imaginait pas qu’une si merveilleuse catastrophe puisse survenir et le toucher.

La chose étant dite, il n’est pas vraiment nécessaire de revenir sur les péripéties qui aboutiront à l’heureux hyménée des deux protagonistes et au succès éclatant de la directrice de Quality, qui aura suffisamment montré sa détermination et son sens publicitaire durant tout le film. Tout cela n’est rien. Mais en revanche, on se sera émerveillé de l’élégance virtuose de Fred Astaire, dont plusieurs numéros dansés doivent figurer dans une anthologie de son talent, de la beauté, à la fois diaphane et éclatante (le paradoxe n’est qu’apparent) d’Audrey Hepburn (qui fut assurément une des plus séduisantes actrices de l’âge d’or du cinéma), de l’absolue élégance des tenues confectionnées par Hubert de Givenchy pour un film qui est une ode à l’élégance et à la mode ; à tout le moins lorsque la mode proposait aux femmes des tenues qu’elles pouvaient porter et non des ziggourats farfelus portés par des mannequins qui paraissent faire la gueule.

Le scénario n’est pas à la hauteur de ceux de Chantons sous la pluie, des Sept femmes de Barbe-rousse ou de Charade, sans doute, mais il ne faut le prendre que comme un simple support : celui d’éblouissants numéros très bien chorégraphiés et d’une photographie éblouissante. Il faut dire que Drôle de frimousse est inspiré de la vie du grand photographe Richard Avedon et de son égérie, le mannequin Suzy Parker. Toutes les séquences où Dick Avery/Astaire capte, ici et là, au Marché aux fleurs, devant l’Arc de triomphe du Carrousel, à la gare du Nord, au Louvre devant la statue de la Victoire de Samothrace, dans le grand escalier de l’Opéra Garnier ou les fontaines du Trocadéro l’élégance de son modèle sont de purs instants de bonheur.

Il n’y a guère qu’un reproche à faire au film, un reproche qui n’est pas négligeable malheureusement, compte tenu de son genre : la banalité extrême de ses mélodies pourtant écrites par les frères George et Ira Gerschwin. À part un petit bout de It’s wonderful et un assez gentillet Bonjour Paris, il n’y a rien qui retienne vraiment l’oreille attentive des amateurs de comédies musicales. C’est bien regrettable, parce que, doté de quelques airs un peu plus flamboyants, Drôle de frimousse aurait pu s’inscrire parmi les chefs-d’œuvre du genre.

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