Shutter island

Contes de la folie ordinaire.

Mon Dieu, que c’est long et même souvent longuet ! Avec un récit plus nerveux, épuré de nombreuses péripéties adventices et superflues, Martin Scorsese aurait réalisé un film où la qualité de sa patte (et de sa pâte) aurait pu faire oublier l’invraisemblance du scénario, bâti sans doute sur un de ces romans de plage bien fichus (comme une bimbo est bien fichue) dont les États-Unis d’Amérique inondent le monde entier. Des romans que des types malins et doués apprennent à rédiger dans des ateliers d’écriture extrêmement formatés.

Cela dit, la chose peut avoir de l’agrément et j’étais tout prêt à trouver un plaisir trouble à m’embarquer sur cette île pénitentiaire censée abriter des fous dangereux, aux côtés des marshals (qui, j’ai l’impression, sont un peu davantage que des shérifs) Teddy Daniels (Leonardo DiCaprio) et Chuck Aule (Mark Ruffalo). Atmosphère glaçante, paysages méchants, physionomies rébarbatives, couloirs mal éclairés, propos intrigants, sensations perceptibles d’être épiés, certitude qu’on ne nous dit pas tout… Et visage méphistophélique du docteur Cawley (Ben Kingsley) qui dirige l’établissement et un peu plus tard du docteur Naehring (Max von Sydow) qui l’accompagne. Tout est bien en place. D’autant qu’on apprend d’emblée que ce qui entraîne la venue des marshals sur l’île est la disparition de Rachel Solando, une psychopathe qui a noyé ses trois enfants.

Ici parvenu, je me régale : tout ce qui explore les méandres affreux du cerveau humain et les petites boutiques d’horreurs dont ils sont capables m’intéresse. Encore faut-il qu’on n’entasse pas inconsidérément Pélion sur Ossa et qu’on n’ajoute pas strate sur strate dans la complexité structurelle. À force de multiplier les niveaux de faux-semblants, voilà que le film perd de sa nervosité initiale et commence à lourdement peser. Les bizarreries qui se multiplient ne font pas oublier les invraisemblances, même si elles sont à peu près élégamment dissimulées par la qualité des décors et de la façon de filmer de Martin Scorsese.

On perçoit pourtant assez vite que le héros Teddy Daniels/DiCaprio n’est pas mentalement bien net, qu’il porte de bien lourds secrets et de bien grands drames. Et de ce fait on n’est pas tellement surpris par les révélations qui surviennent (et même s’accumulent) à la fin du film où la vérité est révélée au pauvre garçon avec une grande brutalité. Mais trop c’est trop, et à ce moment là, nous avons pour la plupart cessé de ressentir la moindre empathie pour ce pauvre garçon torturé. Les camps de la mort, vécus réellement ou même fantasmés, le mariage avec une femme maniaco-dépressive, une profession accapareuse de vie, affreusement stressante et un goût affirmé pour l’alcool, voilà un joli cocktail pour faire perdre les pédales.

Beaucoup plus qu’à Vol au-dessus d’un nid de coucou, qui présente finalement d’assez braves fous classiques, Shutter island m’a fait songer à un grand film démoniaque, Angel heart d’Alan Parker, où l’équilibre bascule et où le personnage principal, Harry Angel (Mickey Rourke) voit aussi sa raison bouleversée  ; il est d’ailleurs amusant de voir que l’antagoniste d’Harry, Louis Cypher, est interprété – et avec quel talent ! – par Robert De Niro, acteur scorsésien s’il en est… Mais Angel heart, malgré une intrigue assez complexe, n’était pas chargé de scories et de retournements invraisemblables.

Bref, voilà un film qui ne manque pas de qualités esthétiques et dont l’acteur principal, DiCaprio est assez crédible, mais qui ne parvient pas à accrocher l’attention. En tout cas à la retenir aussi longtemps qu’il dure.

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