Du mouron pour les petits oiseaux

Vaut mieux que son titre.

Je n’aurais évidemment pas acquis le DVD d’un film au titre aussi abominable s’il n’était réalisé par Marcel Carné, à qui je voue une admiration réelle, attristée par les ratages de la fin de sa carrière. (Mais enfin il faut reconnaître que beaucoup des plus grands auraient dû cesser de filmer plus tôt : voyez Duvivier, Autant-Lara, Renoir ; tout le monde n’a pas la chance de mourir aussi jeune que Jacques Becker).

Donc, Carné et Du mouron pour les petits oiseaux ; ne pas chercher à retrouver là le souffle, l’émotion, la poésie de la grande époque de la collaboration avec Prévert ou Jeanson ; ça n’a plus rien à voir. Mais ça tient encore la route, mieux, bien mieux que Terrain vague ou Les tricheurs. Pourquoi ? Peut-être parce que c’est tiré d’un roman d’Albert Simonin, adapté et dialogué par Jacques Sigurd, grand nom bien oublié, indispensable collaborateur des meilleurs films d’Yves Allégret. Et surtout que c’est assez rigolo, un peu déjanté, un peu burlesque, très libre et que ça peut, dans les meilleurs moments, faire songer à la cocasserie de Drôle de drame, par quoi Carné commença sa carrière dans le Parlant. La comparaison est légèrement abusive, mais enfin il y a du rythme, de la vivacité, de la folie, même.

La distribution du film est un des plus curieuses que j’aie jamais vues : juxtaposition d’acteurs de qualité, d’une starlette dont l’étoile montait, de seconds rôles solides et éprouvés (et même d’un jeune rocker lâché dans le cinéma on ne sait par quel hasard de production : Dany Logan, le chanteur des très oubliables Pirates, qui s’emploie à massacrer Donne tes seize ans de Charles Aznavour).

JEAN RICHARD DU MOURONMais aussi, malheureusement, deux gros ratages : Roland Lesaffre, incontournable chez Carné dont il était l’ami de cœur, dans le rôle d’un tailleur évangéliste misérable et exalté et surtout, surtout, l’affreux, l’insupportable Jean Richard, qui joue un boucher imbécile colérique et qui, même s’il est un peu contenu par le metteur en scène et s’abstient de trop grasseyer, plombe sérieusement le film. Disons pudiquement que Dany Saval, dans un rôle d’écervelée à cuisse légère (dans quoi a excellé ensuite avec bien plus de talent Mireille Darc) a bien fait d’abandonner à peu près complètement le cinéma pour devenir Mme Maurice Jarre, puis Mme Michel Drucker.

Et pour mettre un peu de soleil dans cette eau froide, applaudissons le talent de Jean Parédès, en vieil homosexuel chochotte qui s’envoie à lui-même des pneumatiques pour le plaisir de recevoir la visite d’un petit télégraphiste ; de Robert Dalban qui, lorsqu’il n’interprète pas avec brio un malfrat, est, comme ici, un impeccable policier ; à Suzanne Gabriello, concierge hyperactive et délurée ; à Jeanne Fusier-Gir que je me rappelle avoir toujours vue vieille et toujours formidable, que ce soit chez Guitry, chez Clouzot, chez Becker

f80NuQhQUNljAT6iIUd8GLVv0WnNaturellement une mention spéciale à Paul Meurisse, qui sait tout jouer, avec la même distinction, même lorsqu’il emploie la langue verte. Et mon coup de cœur pour Suzy Delair, femme trompée et trompante du boucher Jean Richard, qui a tant de charme, de malice, d’esprit… de talent tout simplement.

Bien long message pour un petit film ; mais, lorsqu’on est heureusement surpris alors qu’on n’attendait pas grand chose, on peut bien tracer un bout d’hommage, n’est-ce pas ?

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