Édouard et Caroline

Quel joli film !

Le DVD qui est paru il y a quelques temps est d’excellente qualité, image et son restaurés, présenté joliment dans un boîtier élégant et muni, à défaut d’un supplément filmé, d’une brochure intéressante quoique de ton un peu pédagogique. Il complète en tout cas fort bien l’édition des œuvres de Jacques Becker, dont tous les longs métrages sont désormais disponibles.

Édouard et Caroline est une comédie légère, réussie et intelligente, une très jolie étude de mœurs parisiennes dans un milieu de haute bourgeoisie, comme le sera Rue de l’Estrapade, comme l’était Antoine et Antoinette pour le petit peuple industrieux. Capacité à filmer la vie avec un œil tendre, amical, mais sans jamais perdre un zeste de distance ni de lucidité.

Caroline (Anne Vernon), issue d’un milieu social riche et mondain, a épousé par amour un jeune pianiste, Édouard (Daniel Gélin), promis d’évidence à un bel avenir artistique, mais qui tarde à se faire reconnaître. L’oncle de Caroline, Claude Beauchamp (Jean Galland), afin de promouvoir la carrière de son neveu, a réuni quelques relations du Monde dans son bel immense appartement.

Voici les bases de l’intrigue : ce n’est évidemment pas grand chose et pourtant l’histoire va courir à un haut rythme, portée par la sorte d’allégresse narquoise avec laquelle Jacques Becker agite ses personnages… Car les deux amoureux, qui s’adorent, se chamaillent à tout instant, à tout propos, Édouard parce qu’il porte en lui la gêne et les complexes du petit pauvre, à qui même son talent n’ouvre pas les portes du grand monde, Caroline parce qu’elle est précisément de ce grand monde, qu’elle est légère, futile, écervelée, insouciante… En plus son cousin Alain Beauchamp (Jacques François, dont le crâne n’était pas alors dégarni) fait une cour assidue à Caroline, trouvant qu’elle n’a pas eu beaucoup d’esprit de s’amouracher d’un artiste impécunieux.

edouard-et-caroline_38156_6697Les amoureux se disputent, s’invectivent, se menacent de divorce au moment de partir pour la réception chic, s’y rejoignent, s’y disputent encore, se disputent à nouveau de retour chez eux… et finissent évidemment par se réconcilier de la façon qu’on imagine. S’il n’y avait que les jacasseries des deux jeunes gens, le film m’aurait qu’un petit intérêt, malgré la finesse d’observation du réalisateur qui, paraît-il, transposait dans les disputes d’amoureux celles qu’il vivait, au même moment, avec sa scénariste, dialoguiste et compagne Annette Wademant.

Mais les parties les plus délicieuses du film sont celles de la réception, décrite avec une ironie acide et pourtant sans méchanceté. Cette réunion de très grands bourgeois fortunés est une pure merveille d’esprit et de verve. Il est vrai qu’elle bénéficie d’une distribution parfaite. Jean Galland, le maître de maison, trouve ici sans doute son meilleur rôle au cinéma, où il excellait à jouer les parasites snobs, plein de morgue et de suffisance (il est très bien dans Madame de, mais dans un rôle presque anecdotique) ; surtout il y a deux lionnes au visage spirituel et au sourire pervers, Betty Stockfeld et Élina Labourdette dont les coquetteries et les mines émoustillantes, qui les rendent à la fois rivales et complices, justifieraient à elles seules qu’on regarde Édouard et Caroline.

4-36Ce qui est curieux, c’est que tous les comédiens du film, dont certains, comme Gélin étaient alors au sommet de leur notoriété, ont vu leur carrière sensiblement ralentir, s’essouffler dans les années qui ont suivi. Alors qu’Édouard et Caroline est aussi un festival d’acteurs… Il y a des gens qui n’ont pas eu vingt cinq ans au bon moment.

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