Être et avoir

C’était mieux avant.

Voilà un petit miracle de tendresse et de qualité, filmé dans une France qui va bientôt ne plus exister. Celle où des instituteurs bienveillants, rigoureux, sereins, tentent de transmettre à de petits enfants tout ce qui fut la gloire de notre pays. Réactionnaire le film ? Bien sûr ! Et comment ! Un maître d’école semblable à ceux qui ont forgé le siècle et demi passé en s’appliquant à donner à tous les enfants les élémentaires Être et avoir ; c’est-à-dire les bases absolues de notre commune appartenance. Dans un petit, très petit village du Puy-de-Dôme, quelques gamins qui, sans doute, succéderont à leurs parents, à la charrue et à la moissonneuse, un instituteur qui a la passion de son métier d’éveilleur.

Dans le supplément du DVD le réalisateur Nicolas Philibert, habile documentariste, explique ce qu’il a voulu. Il a tourné La ville Louvre, sur la restructuration de notre merveilleux palais ; il tournera Le pays des sourds, sur ce monde étrange de l’infirmité. Il a eu l’envie et l’idée de se pencher sur une école de campagne, dans une région montagneuse, sans trop d’enfants (pour ne pas diluer l’attention du spectateur, pour que l’on puisse identifier facilement tous les protagonistes). Il a beaucoup cherché – plus de cent écoles, dit-il – jusqu’à trouver à Saint Étienne sur Usson, dans le Puy-de-Dôme, l’endroit idéal : une bonne douzaine d’enfants, plusieurs niveaux, des petites trombines sympathiques, de beaux paysages civilisés, propices à des images séduisantes.

Et Philibert fait mieux que de repérer un lieu et des gamins : il capte la calme passion d’un instituteur comme on en aurait tous voulu, Georges Lopez, qui a toujours rêvé d’être ce qu’il est devenu, lui fils d’un pauvre ouvrier agricole d’origine andalouse. On ne saura rien d’autre de lui, s’il est marié (mais on ne croit pas), ce qu’il fera après sa prochaine retraite, ce qu’il aime dans la vie, à part enseigner. Mais il est lumineux, calme, apaisé, attentif à tous ces enfants d’Auvergne, un peu grossiers, un peu frustes, quelquefois bagarreurs, quelquefois mutiques. Des enfants dont on imagine bien qu’ils poursuivront la longue lignée de leurs parents, éleveurs, cultivateurs, voués de toute éternité à la glèbe.

Tout cela se passe de l’hiver à l’été. Premières images d’un troupeau de vaches chassé des herbages par la neige ; dernières images de la fin de la classe au mois de juin, alors que les plus âgés des élèves vont quitter l’école communale pour rejoindre les collèges des alentours. Et que l’instituteur sans doute songe à ce qui va être sa dernière année de travail.

On se demande comment Nicolas Philibert a pu obtenir de ses acteurs improvisés de telles touches naturelles : sans doute au prix d’un montage de séquences très élaboré, très maîtrisé qui place la caméra sur quelques trognes, quelques caractères. Le réalisateur le dit, dans le supplément du DVD : il a d’emblée senti que certains enfants se positionnaient en arrière-plans et d’autres avaient ce je ne sais quoi qui accroche le regard : l’espiègle Jojo, par exemple ou les deux coqs de village Julien et Olivier, si semblables et si antagonistes.

Tout cela est bel et bon ; ça ne ressemble pas à d’autres films qui me viennent en tête qui regardent avec tendresse sur ce petit monde : L’école buissonnière de Jean-Paul Le Chanois (1949) consacrée à Célestin Freinet ou la merveilleuse Douceur du village de François Reichenbach (1964) dont le titre dit tout ; ça ne ressemble pas mais ça dit tant de choses sur cette France tendre qui a tant changé : le Bonjour Monsieur ! adressé au maître, qu’on ne tutoie pas ; l’attente qu’il autorise les enfants à s’asseoir ; ni familiarité, ni copinage : du respect et de la révérence.

Est-il possible qu’en vingt ans tout se soit si hideusement dégradé ?

Tout de même une petite note grise à mentionner. Devant le succès public du film, le magnifique instituteur Georges Lopez a souhaité – ce qu’on peut comprendre – participer un peu aux bénéfices. Nicolas Philibert le lui a refusé ; l’affaire est allée jusqu’en cassation et le pauvre Lopez, sur des arguments de Droit incontestables (le droit de la propriété intellectuelle et artistique est compliqué, mais clair) a été débouté. Je ne trouve pas très élégant que le réalisateur se soit tenu à cette position. Sans Lopez, qu’aurait été le film ?

Leave a Reply