Fatale

Autopsie d’un désastre.

On ne m’avait pas dit du bien de Fatale et comme je sais que Louis Malle, grand cinéaste, peut quelquefois tomber dans les pires nouilleries (de Zazie dans le métro à Black Moon), je me méfiais un peu, craignant que son avant-dernier opus soit un de ces films de trop que quelques uns des meilleurs réalisateurs commettent. Eh bien j’ai été très heureusement surpris et je me dis que si le film ne se terminait pas par vingt dernières minutes sottement mélodramatiques, mon appréciation aurait été ravie. Il est vrai que Fatale est l’adaptation d’une nouvelle dont on ne pouvait sans doute guère modifier profondément la conclusion ; et puis je me demande aussi comment Malle aurait pu achever son histoire sur autre chose que du sang, de la mort et du désastre. Et pourtant si ! le désamour des deux personnages, l’abandon graduel, la lassitude de l’un pour l’autre ou – de façon plus vaudevillesque – la découverte de leur liaison sans la tragédie qui la marque étaient aussi des orientations…

Revenons à la base. De quoi s’agit-il ? De la sidération immédiate, absolue et mutuelle de deux êtres issus du même milieu chic, le docteur Stephen Fleming (Jeremy Irons), qui vient d’entrer au gouvernement de Sa Majesté britannique et qui est promis a une belle carrière politique et Anna Barton (Juliette Binoche), issue d’un milieu très aisé, qui travaille dans une galerie d’art et se trouve être – manque de pot – la petite amie et bientôt fiancée du fils Fleming, Martyn (Rupert Graves).

Me semble parfaitement captée la pulsion de désir immédiat, enivrant, envahissant qui capte aussi bien l’homme que la femme. Désir évident et pourtant ignoré de leurs proches, alors que, selon le mot de Jules Romains), ce qui est le plus surprenant dans les démarches de l’amour, c’est la difficulté qu’elles ont à ne pas être ridiculement transparentes pour le premier venu.

Peut-être est-ce ainsi parce qu’il y a là moins de l’amour (au sens ou l’entend Albert Cohen : Il n’y a pas d’amour en dehors du mariage et il n’y a d’amour qu’en dehors de la passion : cet amour-là sauve nos vies du naufrage en nous offrant le partage d’une même solitude) qu’un écrasant envahissement charnel. Et pourtant Ingrid, la femme de Fleming (Miranda Richardson) ressent d’emblée pour Anna de l’antipathie et ses réticences ne s’effacent pas, même lors de la préparation du mariage des deux jeunes gens.

C’est qu’Anna n’est pas très nette ; elle porte sur ses épaules le poids d’une lourde ancienne culpabilité, le suicide de son jeune frère Aston, avec qui elle avait une sorte de relation incestueuse chaste (sans doute chaste). Ce bouleversement primitif est sans doute ce qui lui permet d’envisager à la fois le mariage avec Martyn et la poursuite des relations charnelles avec son père ; elle ne voit pas là d’incohérence et la seule qui puisse comprendre sa folie, finalement, c’est sa mère (Leslie Caron), à la fois parfaitement évaporée et extérieure et absolument lucide sur sa fille. C’est la seule qui préviendra Fleming et lui dira de fuir. Mais lui ne comprend pas ce qui se passe, ni ce qui lui arrive et il envisagerait bien la classique illusion de refaire sa vie, en quittant sa femme, en brisant le futur mariage de son fils. Anna ne veut pas de ça : il est coincé, bloqué, prisonnier. Ça finit mal, un peu trop mal, on l’a dit. Désastre.

Louis Malle filme cette histoire trop compliquée avec beaucoup d’élégance, aidé en cela par la grande beauté de Jeremy Irons, la finesse du jeu de Miranda Richardson (scène bouleversante où elle se dénude devant son mari avec une sorte de dérision tragique), le talent de Juliette Binoche, sphinx taciturne érogène qui illumine l’écran dès qu’elle apparaît.

Contrairement à beaucoup, j’ai trouvé les scènes d’étreinte extrêmement convaincantes : elles n’ont rien d’érotique à dire vrai, en tout cas rien de sensuel ou d’excitant, mais quelque chose de bestial, d’étouffant, de fatidique.

Fatale, Fatidique deux mots qui ont la même racine latine ; l’oppression du Destin.

 

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