Faux-semblants

Je te tiens, tu me tiens par la barbichette…

Dans le paysage finalement assez sage, assez classique du cinéma mondial (pour ce que j’en connais, qui n’est pas grand-chose), il y a quelques réalisateurs que j’aime qualifier de sévèrement chtarbés. Par définition, on n’en peut donner une liste exhaustive, mais, quand on regarde un de leurs films, on voit bien qu’on n’est pas dans le confort. Des parcours et des succès divers, des trajectoires ondulantes ; cinéma de série B ou de série Z, comme Russ MeyerHerschell Gordon LewisJean Rollin par exemple, ceux dont les films passaient dans de petites salles spécialisées des boulevards. Ou, plus connus, plus notoires, plus révérés, pour les salles de meilleur rang, John WatersJoël SeriaJacques Baratier. Ou encore, au sommet de la notoriété, Lars von TrierDavid Lynch. Et David Cronenberg.

Celui-ci, c’est vraiment un bizarre, dont on connaît et reconnaît assez vite les obsessions : les anomalies physiques, les glaires et les suppurations gluantes, les ganglions monstrueux, les blessures répugnantes. Et aussi les dérives de la drogue, les perversions médicales, les savants à la limite de la folie. Un monde malodorant, malsain, un monde de malaise. C’est répétitif, souvent excessif ; on peut ne pas apprécier l’intégralité d’un film de Cronenberg, mais il est difficile de ne pas trouver, même dans les moins bonnes œuvres, des séquences qui frappent et intéressent.

La gémellité est évidemment une énigme, pour ceux qui ne la vivent pas et qui, forcément, s’interrogent sur le degré d’identité de deux êtres absolument semblables qui ont pour autant leur singularité. Je n’évoque pas ici les jumeaux hétérozygotes (les jumelles merveilleuses, les Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy) mais les homozygotes, que l’on peut confondre. Me viennent à l’esprit, dans un registre sarcastique assez noir, La vie d’un honnête homme de Sacha Guitry avec Michel Simon dans le double rôle (1953) ou, dans le genre horrifique, Sœurs de sang de Brian De Palma avec Margot Kidder (1973).

C’est plutôt à cette veine (hihi !) qu’il faut rattacher Faux-semblants. Un couple de jumeaux gynécologues extrêmement brillants, Elliot et Beverly Mantle (glacial et superbe Jeremy Irons) partage tout : appartement de qualité, postes de recherche médicale, admiration du milieu, réputation de haute qualité. Ils partagent aussi les femmes : j’imagine que c’est là un fantasme gémellaire et une anxiété mêlée de curiosité pour les filles séduites. Cela étant, il y a des différences : Elliot est bien davantage porté sur la bagatelle, Beverley sur la recherche fondamentale. Mais, mises à part ces divergences minimes, l’entente est parfaite.

Jusqu’au jour où une actrice de cinéma assez notoire, Claire Niveau (Geneviève Bujold), en manque d’enfant, vient les consulter. À l’époque du tournage, 1988, Geneviève Bujold avait 46 ans ; voilà un âge qui correspond parfaitement à cette hantise des femmes qui ont mené une vie libre, libertine (elle le dit elle-même) et qui découvrent que la survenue prochaine de la ménopause va bientôt, très bientôt leur retirer la possibilité d’enfanter. Mais son si joli visage, un peu chiffonné, si adorable dans Anne des mille jours de Charles Jarret (1969) ou dans L’Incorrigible de Philippe de Broca (1975) est tout de même un peu fripé (en 1988) pour éblouir le sage Beverly. D’autant que l’actrice est imbibée de comprimés somnifères, calmants, éveilleurs, excitants et que cette dépendance peut se transmettre facilement. Par ailleurs, selon Beverly, elle souffre (ou bénéficie ?) d’une particularité physiologique intime, singulière qui fascine les jumeaux.

Beverly est agacé que son double, Elliot, ait pu – et puisse encore – profiter de la sensualité de Claire, qui doit, au demeurant, s’absenter plusieurs semaines pour un tournage et paraît ne pas avoir compris que son amant est double. La faille entre les deux frères ne cesse de s’élargir et les cauchemars surviennent : comment faire pour échapper à des obsessions qui emplissent de plus en plus l’espace mental…?C’est à ce moment-là que le film commence à partir n’importe où et se terminera par des séquences gore qui n’ont pas beaucoup d’intérêt. Les drogues proposées, commandées par Claire se sont à peu près imposées, d’abord chez Beverly, puis vers Elliot et en entraînent l’un, d’abord, l’autre, ensuite vers les pires dérives.

Le film, au fur et à mesure qu’il avance, va vers l’horreur et la monstruosité : il n’y a plus rien à espérer ni à attendre. À part la mort, bien sûr, qui règle et définit bien des choses. La voilà qui pointe son nez ironique. Qui pourrait vraiment s’en étonner ?

 

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