Péril en la demeure

Vénéneux, sophistiqué, artificiel.

Bizarre de constater combien Michel Deville, qui a eu du succès, de la notoriété et même davantage dans le quatrième quart du siècle dernier, qui avait du talent et qui explorait une veine légère, funambulesque, sensuelle et même souvent érotique, d’un esprit très français, très libertin, a disparu complétement des mémoires. Je crois que c’est bien dommage alors même que je n’ai jamais été un absolu thuriféraire de ses productions. Mais au fait pourrait-on vraiment être admirateur sans limite de Crébillon ou de Nerciat et les mettre au même niveau que Diderot, par exemple, alors pourtant que l’on peut apprécier La nuit et le moment ou Félicia ou mes fredaines mais ne pas les placer au sommet de la littérature ?

Ben, c’est un peu ça, Deville ; j’ai jadis beaucoup aimé Benjamin ou les mémoires d’un puceau en 1968, Raphaël ou le débauché en 71 (deux beaux rôles de Maurice Ronet et de Françoise Fabian) en 1971 et aussi l’excellent Mouton enragé en 1974. Du rose et du gris, du souriant et de l’acerbe, du troublant et du désespéré. Sensualité et vide existentiel. Il se peut que ce soit parce que cette France-là, à la fois sage, prude et troublante, chérissant la transgression et respectant les règles de la vie commune : c’est ce que l’on appelle civilisation, que certains fustigent sous le nom d‘hypocrisie. Mais ce cinéma s’est dégradé très vite : ridicules Paltoquet en 1986 ou Nuit d’été en ville en 1990…

Il faut bien dire que Péril en la demeure est doté d’un scénario absolument invraisemblable, souvent exaspérant. Ce qui est bien, c’est que Michel Deville n’y attache aucune espèce d’importance, en quoi il a bien raison ; le scénario, dans ce genre d’oeuvres, c’est de l’eau qui coule et qu’il faut bien laisser couler pour faire avancer un tant soit peu le film et parce que le public exige qu’il y ait une histoire. Mais finalement si, dans ce film-là, il n’y en avait pas, qui en serait vraiment gêné ?

Bien voilà : un garçon séduisant, glandeur majuscule, David Aurphet (Christophe Malavoy) (Aurphet comme Orphée, vous voyez ce que je veux dire ?) va donner des cours de guitare à Viviane Tombsthay (Anaïs Jeanneret), fille d’un couple très aisé, Graham (Michel Piccoli) et Julia (Nicole Garcia). D’emblée on voit que Julia est séduite par David, beau garçon un peu perdu. Elle se jette à son cou, sans dissimuler beaucoup cette attirance à son mari. Celui-ci est-il indifférent, insouciant ? Ou bien peut-être complice des débauches de sa femme ou excité par elles (comme l’est Jean-Louis Trintignant dans un autre film de Michel Deville, en 1981, Eaux profondes avec Isabelle Huppert ? Ou bien autre chose encore ?

Des personnages connexes et assez fascinants : la voisine du couple Tombsthay, Edwige Ledieu (Anémone), qui a de la singularité et du vice en elle et qui joue on ne sait quel jeu ; et Daniel Forest (Richard Bohringer) qui est un nettoyeur, venu dans la ville pour éliminer quelqu’un et lui dérober de précieux microfilms. Voilà un bien grand entrelacs au milieu d’une histoire assez classique de coucherie d’une grande bourgeoise un peu nymphomane avec un beau garçon assez éberlué que tant de monde le désire et veuille lui donner du plaisir ?

On ne comprend pas toujours ce qui s’ensuit de ce sac de nœuds. Là encore voilà qui n’est pas un reproche fondamental et on trouve beaucoup plus compliqué chez David Lynch par exemple, mais avec un tout autre brio et bien plus d’inventivité dans le creusement des personnages et des situations ; on a l’impression que Michel Deville veut rincer l’œil du spectateur en lui montrant avec une certaine complaisance la nudité de Christophe Malavoy et de Nicole Garcia ; je n’ai rien contre, mais lorsque j’écris complaisance, il faut lire que ces nudités-là n’ont pas beaucoup de nécessité ni même d’utilité ; les conversations singulières entre David/Malavoyet Edwige/Anémone ont du point de vue érotique, beaucoup plus d’impact.

Le film s’achève dans un chaos sanglant qui n’est pas intéressant parce qu’il ne correspond, lui non plus, à rien ; mais naturellement il faut bien terminer sur quelque chose. Pourquoi pas sur l’absurde explosion de la maison et le départ de David avec Viviane/Jeanneret qui arrive là comme un cheveu sur la soupe ?

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