Festen

Tout sur mon père.

Je ne suis pas persuadé que l’esprit de système soit une bonne chose et qu’il faille à un écrivain ou à un artiste s’enrégimenter sous une bannière pour offrir au monde son talent. Naturalisme, surréalisme, Nouveau roman,  ne mènent pas toujours bien loin, sauf pour ceux qui parviennent à s’en échapper. Et, au cinéma, la Nouvelle vague n’a vraiment eu de corps – et d’intérêt pour ses membres – qu’en s’instituant groupe de pression, lobby de cinéastes qui cherchaient surtout à avoir la peau des cinéastes qui étaient en place, ceux de la Qualité française. Ils arboraient ab initio une volonté de révolutionner la mise en scène pour imposer spontanéité, authenticité, décors naturels, son direct, insertion dans la réalité vécue… Mais dès qu’ils ont eu atteint quelque notoriété, les plus roublards d’entre eux – François TruffautClaude Chabrol –se sont émancipés et ont construit une œuvre qui ne devait plus grand chose aux dogmes qu’ils avaient prétendument embrassés.

Si j’emploie le mot Dogme, c’est naturellement à dessein ; Festen est la première manifestation à l’écran de ce manifeste rédigé par son auteur, Thomas Vinterberg et le plus notoire Lars von Trier, manifeste qui figeait de façon très autoritaire et corsetée un mouvement destiné à faire pièce au flot toujours gonflé et dégoulinant des superproductions et du cinéma commercial. Je note toutefois que, comme ce qui s’est passé pour la Nouvelle Vague, la défection du plus talentueux des dogmatiques ne s’est pas fait trop attendre et qu’on aurait bien de la peine à retrouver dans le magnifique Melancholia trace des positions rigides jadis soutenues. (Se reporter à Wikipédia qui offre un article très clair, si l’on veut connaître les dix règles du Dogme 95).

En y réfléchissant, je me dis qu’un artiste puisse être corseté de règles extrêmement contraignantes n’est pas forcément dénué d’intérêt ; c’est très artificiel, certes, mais ça peut faire ressortir d’agréables exercices de pure virtuosité ; en musique, des formes très élaborées, concertos, cantates, symphonies, en littérature des formes poétiques complexes, sonnets, ballades, haïkus ou les amusants travaux de l‘Ouvroir de littérature potentielle (OULIPO), Exercices de style de Raymond Queneau, La disparition de Georges Pérec. Après tout, pourquoi pas ? Si ça fonctionne, on n’a qu’à applaudir en criant bien fort Bravo l’artiste !

C’est assez dire que je n’ai pas commencé à regarder Festen avec l’esprit de sarcasme qui m’est pourtant si familier quand j’aborde un nouveau rivage. La brutalité de la présentation des personnages ne m’a pas déplu et la rencontre dans une grande propriété opulente de toute une théorie de parents et d’amis réunis pour célébrer le 60ème anniversaire du patriarche, Helge (Henning Moritzen) m’a semblé assez propice à un excellent quasi huis-clos où des vérités dissimulées jusqu’alors seraient déballées. On sait bien que seules les haines, les jalousies, les frustrations, les révélations sont objets cinématographiques, de même que seuls les trains qui déraillent sont signalés dans les journaux. On se prépare donc à une féroce soirée de longs couteaux où les bienveillances obligées et les sourires hypocrites éclateront sous l’âpre morsure des bombes à fragmentation balancées à l’envi durant la soirée.

Autant lâcher le morceau : Helge le patriarche est effectivement un salopard qui a régulièrement violé pendant des années sa fille Linda – suicidée ensuite pour cette raison – et son frère jumeau Christian (Ulrich Thomsen) et cela avec la complaisance, sinon la complicité de sa femme, la mère des enfants (Birthe Neumann). C’est Christian, chargé de prononcer le discours introductif du banquet qui révèle l’horreur et qui ne cessera durant la soirée, d’y revenir. Et cela malgré l’inertie de son autre sœur, Hélène (Paprika Steen) et la haine de son frère Michael (Thomas Bo Larsen) qui le jalouse.

Rien de cela n’est en soi déplaisant (si j’ose écrire) ; mais le traitement du récit par Vinterberg est un charabia insupportable, dézingué et exaspérant. Il y a une sorte de frénésie dans la parabole et les références mythiques qui finissent par apparaître répugnantes : on a vite marre de cette familles de fous furieux et de courtisans complaisants avec, en arrière-plan, tout un groupe de soubrettes et de cuisiniers qui interviennent un peu comme un chœur antique et poussent Oedipe/Christian à tuer symboliquement Laïos/Helge.

Quand il est trop intelligent, le cinéma me fatigue.

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