Garde à vue

Sombre, noir et tellement brillant…

L’intelligence du film de Claude Miller est de prendre en cours l’affaire : le meurtre et le viol de deux petites filles découvertes, quelques semaines auparavant dans la désolation d’une Normandie de fin d’automne, l’une sur une plage, l’autre dans un terrain vague. À ce stade là de l’instruction, le notaire Martinaud (Michel Serrault) a déjà été entendu plusieurs fois par la police, a commenté son emploi du temps des jours des crimes. La pluie tombe dru sur les toits de zinc du commissariat : on entre d’emblée dans le vif des choses, parce que l’inspecteur Gallien (Lino Ventura) n’a pas à tout récapituler

Et c’est ceci qui est parfait : le huis-clos entre le notable et le policier, la rencontre de deux mondes, le chancellement des certitudes et le dévoilement du misérable petit tas de secrets qu’en fait chacun porte ; la force de Garde à vue n’est pas seulement l’énigme portée par l’intrigue et le mystère ; elle est aussi dans le choc des classes sociales, manifestement inspirée de l’affaire de Bruay-en-Artois, en 1972, où le notaire Pierre Leroy fut jeté en pâture à l’opinion publique après l’assassinat d’une gamine : dans Garde à vue, cet aspect là est évoqué, mais avec légèreté, même si l’on sent bien que Martinaud, mis en cause et soupçonné est désormais et de ce fait rejeté par la société bourgeoise dont il fait partie.

Mais donc, à mes yeux, le meilleur, c’est l’observation presque clinique de la façon dont un homme craque, moins par l’action de méthodes d’interrogatoire qui ont fait leurs preuves que parce qu’il a en lui quelque chose qu’il a envie de vomir.  Je pense même que la mise en scène très théâtrale aurait pu être encore plus minimaliste et respecter le huis clos sans sortir du commissariat. Pourquoi insérer ces images mentales du couloir, de la plage, de la petite Camille ? Pourquoi ne pas assumer le suggestif jusqu’au bout et rester cloîtré avec les acteurs pour se laisser emporter par le récit, les dialogues ? L’incroyable tension qui monte dans le bureau sans caractère du commissariat entre Martinaud et Gallien, sous le simple regard de Belmont (Guy Marchand, extraordinairement bon en flic vicelard), la chape visqueuse qui asphyxie peu à peu le notable, tout cela se suffit à soi-même. Et je me demande aussi si l’irruption de Chantal Martinaud (Romy Schneider, pour une fois en dessous de son talent) n’est pas superflue, ne met pas trop les point sur les I, n’apporte pas un élément trop romanesque à ce qui pouvait demeurer une sèche épure.

Cela dit, cette physiologie d’un désastre qu’est Garde à vue ensorcelle toujours autant ; pour l’avoir vu plusieurs fois, je me disais en le regardant encore que c’est un film si fascinant qu’on peut en oublier le dénouement et se demander jusqu’à la révélation finale si Martinaud est ou non coupable. (Là aussi, je crois qu’une fin plus ambiguë n’aurait pas desservi le film). En tout cas Serrault et Ventura sont absolument époustouflants et les dialogues de Michel Audiard sont parmi les plus cruels qu’il ait jamais écrits.

Ce qui ne les empêche jamais d’être grinçants et drôles : Marchand, qui tape à la machine, à propos du nom d’un chat : Tango, ça s’écrit comme un tango ? ; et Serrault, exaspéré : Comment voulez-vous que ça s’écrive ? Comme un paso-doble ?. Grand, vraiment…

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