Un homme est passé

L’Amérique insolite.

Je suis assez partagé entre une grande admiration pour la captation d’une atmosphère poussiéreuse, gluante, étouffante et bornée et par le jeu d’acteurs légendaires tous excellents et, à l’inverse, par une certaine déception sur le scénario bien banal et moralisant et une mise en scène très théâtrale, les protagonistes ne cessant de se croiser comme il faut dans les endroits où il faut qu’ils soient. Je pensais et pense toujours que ce genre de défaut, dans un film est facile et fréquent lorsqu’il s’agit d’une adaptation théâtrale, mais je n’imaginais pas qu’il pût exister au cinéma.

On pourra évidemment dire qu’il n’y a rien d’étonnant à ce que les occasions de se rencontrer soient limitées, puisque la bourgade de Black Rock ne paraît pas comporter plus d’une dizaine de maisons, ce qui rend tout de même assez invraisemblable la présence d’un hôtel avec de nombreuses chambres, d’un saloon spacieux, d’un garage, d’une prison et d’une entreprise de pompes funèbres. Que le long train express – admirablement photographié dans son cheminement dans le désert lors du générique – puisse s’y arrêter sur la simple demande d’un voyageur fait aussi partie de mes interrogations… Mais enfin ! On est en 1945 et en Arizona, ce qui doit expliquer beaucoup de singularités.

Je n’ai pas bien accroché à la dénonciation du sort qui fut, paraît-il, infligé aux Nippo-Étasuniens pendant la guerre ; je note que tous les États, à toutes les époques, se sont toujours interrogés sur la loyauté de leurs citoyens originaires de pays avec qui ils étaient en guerre ; c’est certainement bien regrettable, mais également très compréhensible.

black-rock-2Cela posé, qui n’a plus d’intérêt qu’historique, le sujet, qui est celui de la lâcheté et de la culpabilité collectives d’un groupe humain restreint ; un groupe humain bouleversé et réveillé par l’irruption d’un étranger qui vient mettre à chacun le nez dans sa fiente. Ceci est comme souvent riche d’aperçus sarcastiques sur la nature humaine, les relations de domination/soumission et la révolte rédemptrice de faibles, plus lâches que scélérats, ou scélérats moins endurcis, si l’on veut.

Le personnage de John MacCready (interprété par Spencer Tracy avec une très grande sobriété) est assez complexe et moins marmoréen qu’on pourrait le craindre : comme j’avais oublié à peu près totalement un film que j’avais vu il y a près de cinquante ans, j’ai craint, au début, que MacCready ne soit une sorte de justicier superman venu exposer, dans un patelin oublié de Dieu et des hommes, les lois fondamentales de la démocratie, travers dont nombre de films d’Outre-Atlantique ne sont pas dépourvus. Et en fait, on se félicite de constater que le héros ne le devient que parce qu’on lui a par trop chauffé les oreilles et qu’il venait tout bonnement accomplir une sorte de pieux pèlerinage auprès du père d’un de ses compagnons d’armes disparu à la guerre.

C’est donc la lâcheté et la veulerie crapoteuse des autres, menés par un Reno Smith (Robert Ryan) au caractère malheureusement assez peu fouillé, qui fait que, la moutarde lui montant au nez, MacCready fait sauter le couvercle et repart au matin en laissant le paysage dévasté, et quelques nouveaux morts sur le terrain, Smith, bien sûr, mais aussi la malheureuse Liz Wirth (Anne Francis, qui n’est pas bien nette et ne reçoit donc que ce qu’elle mérite) et quelques blessés graves de choix (Lee Marvin et Ernest Borgnine).

Je me moque un peu de l’histoire, mais ça vaut tout de même largement le coup d’œil…

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