Gladiator

De bruit et de fureur.

Il n’y a pas à dire, c’est de la belle ouvrage. Beaucoup de moyens, des décors superbes, une qualité d’images impeccable, une musique réussie, de la haine, de l’amour, de la violence, du sang, des horreurs et des malheurs. C’est un film formaté pour un triomphe mondial – ce qui a été le cas – et ce n’est pas là un reproche ; je dirai même qu’il n’est pas mauvais que les milliards d’habitants de notre petite planète puissent, d’une certaine façon, acquérir des références communes. Même si ces références sont passées au trébuchet d’Hollywood, cette marmite tonitruante où l’Histoire, la grande Histoire, est lavée, relavée, essorée, séchée, repassée, mise sous un impeccable emballage…

Ce qui m’agace un peu n’est pas du tout l’invention – anecdotique et nécessaire au récit – d’une intrigue où un général ibère, Maximus (Russell Crowe), qui a la faveur du grand empereur de la dynastie des Antonins, Marc Aurèle, s’oppose à l’héritier naturel, le fils de Marc-Aurèle, Commode et subit mille vicissitudes et horreurs. À moins de réaliser un film sage et verbeux, qui ferait appel à trop de références culturelles, un truc pour la chaîne Arte, il faut bien voguer vers le romanesque. Je n’ai rien à reprocher au récit des malheurs de Maximus et des humiliations et des épouvantes qu’il éprouve. J’admets volontiers que le grand empereur Marc-Aurèle (Richard Harris) n’ait pas souhaité que lui succède son fils Commode (Joaquin Phoenix), sorte d’écervelé qui prenait effectivement du temps à combattre dans l’arène contre des gladiateurs et des bêtes féroces. Mais c’est aller bien loin que de faire du fils l’assassin du père.

La question, tout de même, à la base, est de savoir si on peut tordre l’esprit des choses. Le factuel, après tout, ça n’a pas une importance énorme : non, Commode n’a pas été zigouillé sur le sable d’un cirque par un gladiateur : il a été assassiné dans son bain par un de ses esclaves, à la suite d’un complot fomenté par ses proches. Non, Commode n’a pas usurpé le titre d’empereur, puisqu’il avait été associé par son père à la dignité impériale depuis plus de trois ans. Non, aucun auteur n’a évoqué une relation incestueuse entre Commode et sa sœur Lucilla (Connie Nielsen) et certains auteurs même, lui prêtent un bordel de 600 filles et garçons.

Ce qui est bien plus gênant, c’est le ton moderniste du propos. Ridley Scott présente, par exemple, les Sénateurs romains comme s’ils étaient des démocrates libéraux de nos sociétés contemporaines, ouverts aux revendications populaires alors qu’ils étaient des oligarques absolument jaloux de leurs prérogatives ; les Empereurs, de ce point de vue là se sont appuyés, contre ces aristocrates suffisants, sur l’Armée et sur la plèbe ; un peu comme Napoléon Bonaparte, n’est-ce pas ?

Vais-je continuer d’ergoter ? Rappeler que les meilleures et plus récentes études historiques ont plutôt tendance à réhabiliter les Empereurs que la légende noire a couvert d’opprobre, Domitien, Commode et même Néron ? Est-ce que ça a beaucoup d’importance, finalement ? Comme écrivait Anatole France (dans L’anneau d’améthyste), on peut bien penser que La postérité n’est impartiale que si elle est indifférente. Et ce qui ne l’intéresse plus, elle l’oublie. En d’autres termes, toutes ces vieilleries là n’ont plus beaucoup d’importance à l’heure d’Internet.

Que dire de plus ? Bons acteurs, images fastueuses, anecdote prenante. Rien de plus, rien de moins. C’est déjà ça.

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