Histoires extraordinaires

De bric et de broc.

Quelle drôle de magouille de production, la nécessité de placer et de dépenser de l’argent planqué dans un paradis fiscal exotique ou d’employer des acteurs qui avaient des contrats à exécuter a conduit à réaliser ces Histoires extraordinaires ? Le film à épisodes, à sketches, même lorsqu’il est réalisé par un seul metteur en scène (par exemple Carnet de bal ou Le diable et les dix commandements de Julien Duvivier) souffre à peu près toujours de la différence entre ses segments… Alors imaginer que trois cinéastes de qualité et de niveau si dissemblables que Roger VadimLouis Malle et Federico Fellini puissent présenter au public complaisant de 1968 quelque chose de cohérent est une véritable faribole. On présente ça comme une adaptation de trois nouvelles d’Edgar Poë et on dit Passez muscade !

Rien n’est plus faux que ce film, bien qu’on puisse y trouver ici et là des grâces et des agréments. Mais ces trois morceaux de n’importe quoi cousus ensemble ont quelque chose qui, manifestement, se contrefiche du spectateur et, ce qui est encore moins honnête, du rédacteur des contes qui prétendent l’avoir inspiré.

Il va de soi que ces trois machins hétéroclites n’ont aucun sens commun. On n’imagine pas une seconde que les trois cinéastes aient jamais pu se rencontrer, bavarder, réfléchir sur un projet commun, avancer ensemble vers une célébration de leur inspirateur littéraire. Pas du tout ! Chacun a traité son petit morceau d’adaptation à sa façon, transgressant comme il le souhaitait la vague trame d’une des histoires censées être transcrites.

Remarquez bien que ce ne sont pas les trahisons qui m’agacent : on sait très bien que le passage de l’écrit à l’image peut fort bien supporter – et quelquefois doit même l’être – un changement complet de point de vue. Je ne suis pas vraiment choqué que dans le premier des trois moyens métrages, Metzengerstein, Roger Vadim , se fondant sur la séculaire animosité qui a toujours séparé les deux familles parentes, Metzengerstein, donc et Berlifitzing incarne les deux chefs de famille en une jeune femme débauchée, cruelle, perverse, Frederica (Jane Fonda) et un jeune homme hautain, Wilhelm (Peter Fonda), alors que le conte de Poë oppose deux hommes, l’un jeune, Frédéric, l’autre très âgé, Wilhelm. Cette transposition permet au moins de montrer la beauté éclatante alors de Jane Fonda et d’introduire dans le film des séquences érotiques presque débridées (pour l’époque). Notons, en revanche, que la musique de Jean Prodromides, souvent mieux inspiré, est d’une nullité crispante.

Je n’ai rien contre non plus que l’adversaire au jeu de William Wilson (Alain Delon) ne soit pas un de ses camarades de bamboche habituel, un joueur anonyme, mais Giuseppina (Brigitte Bardot, bizarrement brune), une des plus belles parures d’une maison de plaisir de Bergame. Pourquoi pas ? Voilà qui met un peu de sel supplémentaire dans une histoire qui n’en manque pas, celle du Double, du reproche vivant, du pauvre enfant vêtu de noir qui me ressemblait comme un frère. (Musset, pour ceux qui ne connaîtraient pas).

Je crois que le cinéaste, l’adaptateur a absolument tous les droits et que, s’il juge que le personnage qu’il veut mettre à l’écran est une femme plutôt qu’un homme, c’est parfaitement admissible : personne n’est obligé de connaître une oeuvre par le truchement de l’écran : on peut toujours, si l’on veut en savoir davantage, se reporter à l’écrit. Mais ce qui est gênant, c’est lorsque la transposition est minable ou, plutôt, complaisante. La partie réalisée par Roger Vadim ressemble tant et tant aux défunts porno-soft de jadis, montrant avec volupté la belle plastique de Jane Fonda et ses longues cuisses qu’elle finit par ennuyer. C’est à coup de chevauchées interminables sur des plages grises, de mines sadiques et lasses que le réalisateur, qui n’avait d’autres qualités que de savoir séduire de très jolies femmes (ce qui n’est déjà pas mal, d’ailleurs) tente d’évoquer l’histoire improbable et haineuse de deux familles.

Des trois segments, le deuxième, William Wilson réalisé par Louis Malle est le plus fidèle et sûrement le plus réussi. Alain Delon, bougon comme il savait l’être à cette époque de Brigitte Bardot, encore très montrable (mais jouant toujours aussi faux) dans une ville italienne aux derniers temps de l’occupation autrichienne. Avec la méchanceté très bien filmée du garçon fascinant qui embrigade tout le monde dans une cruauté presque insoutenable : la dissection vivante d’une proie facile (Katia Christine) dissection presque aboutie.

Je n’ai pas encore dit un mot de la troisième partie du film, qui a incombé à Federico Fellini ; c’est qu’à dire le vrai, je ne sais pas trop qu’en dire. Ceux qui admirent le cinéaste italien y trouveront ce qu’ils aiment en lui : une sorte de folie, la capacité de mettre en scène des physionomies, des trognes, des visages et des allures si singuliers qu’ils demeurent en mémoire ; ceux qui y sont davantage réticents se conforteront dans l’interrogation devant le tohu-bohu originel : des séquences et des images toujours aussi superbes ou impressionnantes mais absolument incohérentes et trop souvent inutiles. La fin du film où le malheureux Toby Dammit (Terence Stamp) au volant d’une Ferrari erre dans la campagne romaine avant d’y trouver la mort qu’il cherche est particulièrement ennuyeuse.Salmigondis qui, ici et là, ne manque pas d’inspiration. Mais salmigondis tout de même.

 

Leave a Reply