Illusions perdues

Splendeurs et misères de la vie conjugale.

Voilà bien le genre de films que l’on n’oserait plus tourner aujourd’hui. Les harpies féministes hystériques se posteraient devant les écrans et les déchiquetteraient rageusement, tant l’histoire de Jill Baker (Merle Oberon) est celle d’une gourde à l’esprit faible et à la tête vide qui se jette sottement dans l’aventure. Il n’y a pas à dire, Emma Bovary n’a manqué ni de modèles ni d’imitatrices. Comme les thèmes éternels ne sont pas légion et que, en quelque sorte, les auteurs ne font que broder et rebroder un tissu solide, classique, convenu, on peut s’amuser de retrouver ici et là des orientations, des clins d’œil, des allusions. Voilà qui suffit à amuser le lecteur ou le spectateur qui a un peu ou, mieux, beaucoup de bouteille.

Je ne conserverai sûrement pas un souvenir profond et intense d’Illusions perdues, pas davantage que des autres films d’Ernst Lubitsch que j’ai vus (deux autres, en fait). C’est léger, superficiel, vaporeux, distrayant. Du cinéma d’agréable consommation courante. Une comédie de boulevard qui ne fait pas regretter sa soirée et qui a permis de passer un bon moment.

Le couple idéal de l‘american way of life en 1941, avant Pearl Harbour et l’entrée en guerre. Couple solide, couple sérieux, couple en principe amoureux, couple un peu plus qu’aisé. Si exemplaire qu’un article lui a été consacré dans un grand magazine, sous le titre Le bonheur des Baker. Larry Baker (Melvyn Douglas) est un prospère courtier d’assurances, Jill (Merle Oberon, donc), un colibri qui passe beaucoup de temps à gazouiller avec ses amies ; c’est-à-dire à se plaindre de leurs maris et à s’inventer des soucis imaginaires. C’est d’ailleurs là-dessus que s’engage le film ; Jill se plaint d’être affligée d’un tic plutôt gênant : elle est saisie d’un hoquet irrépressible dès qu’elle est nerveuse ou agacée. Ses amies l’envoient donc consulter un psychanalyste, le docteur Vengard (Alan Mowbray), qui lui fait poser un autre regard sur son couple et son mari.

La curiosité et le désœuvrement aidant, voilà que la ravissante Jill croit découvrir qu’elle s’ennuie et que son mari – de dix ans plus âgé qu’elle – est devenu un peu plon-plon. C’est-à-dire que la routine s’est installée et que les petites trivialités inhérentes à la cohabitation ont fait surface. C’est sans doute le meilleur du film : un feu d’artifices verbal, des vacheries, des bons mots, des sous-entendus légers. Les dames de la bonne bourgeoisie oisive qui déplorent : Gargarismes le matin, ronflements le soir, c’est le clairon du mariage ! et qui postulent qu‘un mari devrait garder une part d’inconnu, éveiller sans cesse la curiosité. Tiens, c’est précisément cela contre quoi prétendent lutter Solal et Ariane dans Belle du Seigneur ; on sait comment ça finit (si on ne sait pas, il n’y a qu’à lire le livre : 1152 pages en Pléiade).

Voilà qu’au cours d’une visite chez le psychanalyste, Jill fait abruptement connaissance d’un individu rogue, mal embouché, malotru, misanthrope, exigeant, agressif : Alexander Sebastian (Burgess Meredith), pianiste peut-être talentueux mais inhibé lorsqu’il joue devant un public. On devine la suite. Jill est fascinée, captée, subjuguée par ce drôle de type iconoclaste odieux (et ridicule, bien sûr). Et ce qui devait arriver survient. Jill devient la maîtresse de Sebastian et entreprend de divorcer.

C’est là que Larry Baker, qui est un type solide et large d’épaules se réveille et décide de récupérer sa femme, qu’il aime et qui, en fait, l’aime. On devine qu’il va y parvenir sans trop de difficultés, y compris en suscitant la jalousie de Jill grâce à une brève insignifiante liaison avec Sally Aikens (Eve Arden), la secrétaire de son avocat. La légitimité l’emporte sur les fariboles ; voilà qui m’a fait penser à La chamade, un des grands romans de Françoise Sagan mis en images par Alain Cavalier (1968).

C’est donc un film où une pauvre courge immature se ridiculise et revient sans trop tarder dans les bras d’un mari subtil et protecteur. Tout ce que déteste le wokisme, non ?

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