Scarface

La résistible ascension de Tony Camonte.

Je n’ai regardé l’hommage que Brian De Palma a rendu, en 1986, au film initial, le Scarface de  Howard Hawks, qu’il y a sept ans et je découvre aujourd’hui le film assez mythique qui a eu tant et tant de retentissement. Et j’en suis, sinon déçu, du moins un peu dépité, tant l’original m’aura paru bien inférieur à son brillant remake. Il n’est pas impossible que mes réticences ne soient dues qu’à ma méconnaissance du cinéma étasunien du début des Années 30 et à mon indifférence pour cette ridicule période de la prohibition, vertueuse protestante tentative de modifier, en la punissant, la nature humaine. Exactement ce que cherchent aujourd’hui à accomplir écologistes, wokistes et autres empêcheurs de profiter des si rares plaisirs de la vie.

Je n’envisage pas de me livrer trop exactement à des comparaisons précises entre le remake et son modèle, mais je suis bien contraint, tout de même de trouver à Tony Montana (Al Pacino) beaucoup plus de substance, de crédibilité, d’intérêt qu’à Tony Camonte (Paul Muni). Le premier nommé – le second venu, donc – a de l’épaisseur et on en comprend aisément la psychologie, les racines, les motivations d’une ascension vouée, forcément, à la catastrophe. Le second paraît une pauvre marionnette hystérique, affublée du seul plaisir de tuer et – c’est important – d’une possessivité incestueuse dirigée vers sa jeune sœur Francesca (Ann Dvorak), tout ce qui tourne autour n’étant que l’apparat de ces deux pulsions essentielles.

Le récit d’Howard Hawks m’a semblé bien laborieux, bien scolaire : la petite montée en grade d’un truand assez minable, simplement distingué par un truand un peu supérieur en grade, John Lobo (Osgood Perkins), du fait qu’il n’a pas d’états d’âme, qu’il tue avec efficacité et simplicité ce qu’on lui commande de tuer (et que, donc, il prend à cela un plaisir orgasmique). Le type est primaire, brutal, mal dégrossi ; son ambition n’est finalement pas si éclatante que ça, mais augmentera au fur et à mesure qu’il découvrira l’étrange pouvoir qu’il détient et qui n’est pas donné à tout le monde : celui de tuer avec indifférence et d’y prendre tout de même du plaisir presque érotique.

Le mec souffre d’ailleurs d’une sexualité compliquée : non pas celle qui lui fait enlever Poppy (Karen Morley), la maîtresse à cuisse légère de son patron Lobo : cela fait partie de l’ordre des choses, le jeune chef dépouillant le vieux chef de tous ses attributs, notamment le droit de cuissage de la femelle. Mais bien plus essentielle, la passion et la jalousie dévorantes qu’il voue à sa sœur Francesca/Ann Dvorak. Au début on peut imaginer qu’il ne souffre que d’une pulsion sicilienne, à l’image de celle de Ferribotte (Tiberio Murgia), qui, dans Le pigeon de Monicelli, veille sévèrement et mêmement sur la vertu de Carmelina (Claudia Cardinale). Il y a de ça, bien sûr, mais il y a bien davantage, le désir informulé, brûlant, démentiel que l’un et l’autre éprouve.

Cette transgression suggérée, presque accomplie à la fin du film, est véritablement ce qu’il comporte de mieux ; le reste est bien davantage banal : exécutions sommaires, défouraillages perpétuels, massacres à la sulfateuse, trahisons continues, ascensions sans limites puis, naturellement, exécutions cruelles, logiques, obligées. En arrière-plans, les amitiés truandes, certaine fidélité aux paroles données, surtout l’évidence que l’entrée dans le mauvais chemin a quelque chose d’inéluctable et de fatidique. Finalement, ce n’est pas mal.

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