Inside job

L’Oncle Picsou gagne à tous les coups.

Je me demande encore comment, moi qui ne lis guère que des romans, j’ai découvert, en 1996, L’horreur économique, ouvrage de Viviane Forrester. Moins pour le grand succès de librairie que le livre a été (on ne m’appâte pas avec ces arguments), que par la force de son titre, issu d’une phrase d’Arthur Rimbaud. Que disait la dame, en gros ? J’emprunte ces mots à Wikipédia, dont l’article est bref mais exact : les discours habituels (…) masquent les signaux d’un monde réduit à n’être plus qu’économique (ou même pire : financier, virtuel). Et un peu plus loin : Escamoté le monde de l’entrepreneur au profit des multinationales, du libéralisme absolu, de la globalisation, de la mondialisation, de la déréglementation, de la virtualité.

Cela, c’était donc en 1996. Le ver s’était mis dans le fruit, d’ailleurs, auparavant : la politique économique de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher (et davantage encore de ceux qui les inspiraient, notamment Milton Friedman) a graduellement abouti à la défaite du capitalisme rhénan, entrepreneurial, fondé sur l’industrie et l’ingénierie devant le capitalisme anglo-saxon, basé sur la fluidité et l’ingéniosité des transactions financières. D’où la désindustrialisation, la mondialisation (prétendument heureuse), le transfert vers le Tiers-monde aux masses laborieuses continuellement exploitables de presque toute l’activité réelle de l’Occident (hors les voitures allemandes, les produits de luxe français, Airbus et Ariane).

J’en viens à Inside Job, film passionnant mais difficile du réalisateur Charles H. Ferguson. Son propos n’est rien moins que de décortiquer l’évidence de la survenue de la catastrophe financière de 2008. 2008 : auriez-vous déjà oublié la faillite de l’immense banque Lehmann brothers ? Le vent du boulet qui passa sur Merryll Lynch, Goldmann Sachs et quelques autres ? Auriez-vous oublié la fameuse crise des subprimes qui mit sur la paille des millions de pauvres gens – de pauvres gogos, si ça peut vous faire plaisir – qui avaient cru pouvoir se faire construire ou acheter des maisons en profitant de conditions de crédit mirifiques ?

Il paraît que le monde est passé, à l’automne 2008, tout près de l’explosion ; certains m’ont dit, s’y connaissant un peu, qu’une des rares initiatives positives de Nicolas Sarkozy était de s’être battu comme un beau diable pour sauver des tas de choses. Certes. Toujours est-il que les économies, les pauvres petites épargnes patiemment constituées par des tas de gens ont été aspirées, asséchées, vampirisées par la Finance internationale.

Il faut suivre la démonstration dans Inside job et aussi peu connaisseur que concerné par ces redoutables mouvements gigantesques de fonds et par les jeux à sommes considérables dont il s’agit, je crains d’avoir ici et là un peu raté des finesses. Le réalisateur examine les comptes, interroge des tas de personnalités, initiées aux arcanes et aux subtilités des manipulations financières, voit l’habilité des joueurs diplômés et subtils qui se taillent des revenus invraisemblables en spéculant sur l’argent péniblement accumulé par vous et moi. Des bonus extravagants, des coups de bourse stupéfiants, un monde virtuel où les dollars s’entassent les uns sur les autres.

Je ne vais pas jouer au vertueux : de tout temps il y a eu des malins qui ont su profiter des opportunités pour s’en mettre plein les poches ; qui aurait eu le nez, comme les frères Péreire d’acheter les terrains qui forment aujourd’hui l’entourage du parc Montceau profiterait maintenant de revenus immobiliers considérables. Mais Inside job ne parle pas de la fortune d’aventureux capitaines d’industrie ou de gens exposant leurs propres fortunes ou celles de quelques gogos qui les suivaient. Il s’agit plus simplement d’effectuer une razzia sur les économies scientifiquement captées par une secte de goules et de vampires..

C’était en 2008 ; le film évoque ensuite les velléités de Barack Obama d’introduire un peu de régulation dans les marchés financiers. Et constate que tout ça est de la blague et de la posture : Obama emploie les mêmes financiers qui sont à la base des catastrophes.

N’est-ce pas que nous sommes bien barrés ?

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