Irma la douce

Pourquoi se passer des « Anges » ?

La première heure du film de Billy Wilder est nerveuse, drôle, enlevée, spirituelle. On peut pourtant bien y regretter que le réalisateur n’ait pas cru transposer plus fidèlement la comédie musicale française d’Alexandre Breffort et singulièrement les mélodies si réussies de Marguerite Monnot, qu’on reconnaît pourtant ça et là au long des images…. Mais confiner Avec les Anges au seul générique et à quelques bouts de séquence, n’est-ce pas se priver d’un petit chef-d’œuvre de qualité et de vraie poésie ?

On peut aussi se demander si Jack Lemmon, par ailleurs excellent, n’était pas un soupçon trop âgé (38 ans en 1963) pour interpréter le rôle du d’abord niais Oscar Patou… Soit dit en passant, sa rigidité réglementaire, aux premiers pas de l’intrigue m’a fait irrésistiblement songer au jeune inspecteur François (Thierry Lhermitte) des Ripoux qui, lui aussi, envisage d’être intransigeant avant de se retrouver, mêmement, en ménage avec la prostituée Natasha (Grace de Capitani)…

En revanche, j’ai fait une véritable redécouverte du talent et de la séduction poivrée de Shirley MacLaine, que je n’avais jamais vue aussi ravissante, épicée et tendre.

Mais dans cette première heure, en sus de l’intrigue spirituelle, il y a aussi la drôlerie d’un Paris fantasmé… D’abord quelques images de ce que pouvait être la Capitale présentée par le Viennois civilisé Wilder : Montmartre, l’Étoile, la place Vendôme, la Concorde, Maxim’s, la tour Eiffel, le pont Alexandre III et les Invalides… pour cingler vers ce qui était encore à l’époque, le Ventre de Paris, les merveilleux pavillons Baltard des Halles, les rues emplies de montagnes de choux et d’oranges, les bistrots ouverts à toute heure et les filles qui attendaient le client venu se dégourdir, se réchauffer ou fêter une bonne affaire…

Le talent de décorateur d’Alexandre Trauner se donne là à cœur joie et c’est un délice de fantaisie, d’allure et de gaieté. Même si l’hôtel Casanova où ont lieu les passes de ces demoiselles n’existe pas (c’est bien dommage, d’ailleurs… pourquoi cette frilosité, chers compatriotes ?), même si les rues étaient moins brillantes, plus laborieuses et les macs moins voyants, il y a là un assez joli trésor d’ethnographie parisienne…

Donc tout va bien, dans une jolie dinguerie affabulatrice : celle d’Irma qui conte en larmoyant à chaque client une histoire pathétique pour lui faire augmenter son petit cadeau à chaque fois que ledit client pose l’existentielle question qui suit la petite secousse et pendant le rhabillage : comment te retrouves-tu à faire ce métier-là ? ; et aussi celle de Moustache, le bistrot mythomane (Lou Jacobi), qui fut prétendument dans des vies antérieures professeur, accoucheur, avocat, mille autres choses et se trouve toujours disponible pour offrir de bons conseils.

Mais, malgré quelques jolies séquences (la party dans le café, où Irma, déchaînée, swingue sur la table de billard), la fin s’étire et la dernière demi-heure est même assez pesante. C’est bien dommage, parce que, si Billy Wilder n’avait pas eu la main lourde sur la durée, au point d’étirer sur 2h 20 un charmant récit qui aurait pu se restreindre de trois quarts d’heure, s’il avait senti combien la musique de Marguerite Monnot était consubstantielle à la pièce qu’il prétendait adapter, Irma la Douce aurait pu être un de ces petits chefs-d’œuvre rares qui sont l’hommage de quelques Étasuniens civilisés au Vieux Monde.

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