Le défroqué

À ne pas mettre devant tous les yeux.

Il y a beaucoup d’outrance, pas mal de maladresse et même des scènes un peu ridicules dans ce grand mélodrame qui fut, je crois un immense succès, mais il y a aussi de la hauteur de vue, de la noblesse d’âme et de l’émotion. Je ne crois pas pour autant que Le défroqué puisse être, aujourd’hui, mis sous tous les yeux : il faut avoir une certaine sensibilité aux questions spirituelles, un minimum de culture catholique et une envie de se pencher sur ces questions de Grâce divine, de pardon des offenses, de communion des saints et de mystère de la vocation sacerdotale.

Disant cela, je ne me veux pas le moins du monde méprisant, ni même éloigné de ceux que ces mots et ces idées n’intéressent pas, ou qui les regardent comme des archaïsmes mythologiques. Le monde a changé, depuis 1954, date de sortie du film et ce mot de Défroqué qui sonne comme une claque donne lieu aujourd’hui à de l’indifférence ou au sarcasme alors qu’à l’époque il apparaissait comme terrifiant. Dans ma famille, défroqué était plus stigmatisant, sans doute, que criminel : on a quelquefois de bonnes raisons de zigouiller son mari ou son voisin, mais trahir Dieu, c’est inimaginable.

Cette archéologie est, il me semble, nécessaire pour bien saisir la dimension du film dans ce qu’elle a de plus spécifique :  l’effroi paralysé des officiers prisonniers qui, parce que le prêtre célébrant (Guy Decomble) meurt après la Consécration, mais avant la Communion en laissant l’hostie dans la patène n’est compréhensible que dans cette optique ; de même la scène au cabaret russe (le Raspoutine ou quelque chose comme ça) où Maurice Morand (Pierre Fresnay), le Défroqué, dans un élan provocateur, sacrilège, diabolique consacre un plein seau de champagne par les paroles sacramentelles et oblige en quelque sorte le séminariste Gérard Laccassagne (Pierre Trabaud) à ingurgiter ce qui est désormais le Sang du Christ… (et il y a une notation, qui n’est pas du meilleur goût, et qui ne se saisit que dans une perspective anteconciliaire : le pauvre Lacassagne est obligé d’aller se faire vomir pour que le champagne consacré ne puisse voisiner dans son estomac avec le rognon au Madère et la pêche Melba).

Ce plus spécifique que j’évoque est-il ce qu’il y a de meilleur ? On jugera en fonction de ses convictions mais, si on plonge le nez dans le film sans le considérer seulement comme une survivance du début des années 50, on y trouvera la mise en scène de plusieurs préoccupations qui ne sont pas tout à fait de la même aune que les sujets de société qui agitent aujourd’hui le paysage des écrans.

les_aristocrates-05Je l’ai dit, c’est souvent maladroit, c’est réalisé pour le public populaire qui allait tous les samedis soirs applaudir le film de la semaine, surtout quand il était paré d’une aussi grande vedette qu’était le Luthérien Fresnay et réalisé par son solide complice Léo Joannon, grand spécialiste des thèmes à implication morale (Le carrefour des enfants perdus, Le Secret de sœur Angèle, L’Homme aux clés d’or, Le Désert de Pigalle). Mais ça ne vise pas vers le bas, c’est exempt de cynisme, de sarcasme, de second degré, toutes les choses si faciles de notre actualité, tout ce qui fait florès au Grand journal de Canal+.

C’est daté, ringard, maladroit. Mais c’est très bien.

2 Responses to “Le défroqué”

  1. Step de Boisse dit :

    Merci, je l achète, bonjour de Paray

  2. Survoies dit :

    Je l’ai vu hier. Il y a une force incroyable dans la scène où ses amis prient pour Morand.

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