Juste la fin du monde

Il n’y a plus d’après.

Les hommes de ma génération ont du mal à imaginer ce qu’a pu être l’irruption du Sida chez leurs cadets. Ils n’ont pas connu cette angoisse mortelle. Sans doute parce que la maladie n’existait pas encore, mais aussi parce que l’homosexualité leur semblait être une rareté exotique, comme la drogue, et que ceux qui affichaient un intérêt pour leur propre sexe, hors les milieux très restreints d’artistes évaporés ou d’écrivains marginaux ne se colletaient pas avec cette forme de malédiction.

Cela pour dire que je ne suis pas tellement bien placé pour écrire sur ces drames. J’ai approché dans ma vie des centaines, des milliers de gens, mais je n’ai connu personne qui ait été atteint de la maladie inéluctable. Je n’en suis ni désemparé, ni content mais je dois à la vérité de le dire : je n’ai pas connu de ces condamnés à mort en fragile sursis. Et la vision assez récente de 120 battements par minute, film consacré aux combats du mouvement Act’up pour réveiller les consciences et faire accélérer les recherches m’a étonné sans me convaincre tout à fait. Je ne voudrais choquer ni vexer personne, mais j’ai l’impression de voir s’agiter des Martiens.

Ce n’est pas tout à fait le cas avec Juste la fin du monde où, après 12 ans d’absence, Louis (Gaspard Ulliel) revient passer une journée dans sa famille. Il semble évident qu’il veut annoncer sa mort prochaine, mais il arrive dans le même bouillonnement que celui qui – peut-être ? – l’a incité jadis à partir. À quitter une sorte de capharnaüm violent marqué par des relations familiales à la fois aimantes et déchirées.

Il y a là, aux côtés de Martine, la mère (Nathalie Baye), qui est un peu fêlée, un peu irresponsable, presque déjà un peu gâteuse, il y a le fils aîné, Antoine (Vincent Cassel), écorché, jaloux, autoritaire, haineux, violent. Il y a sa femme Catherine (Marion Cotillard), qui n’est que douceur, compréhension, harmonie. Et enfin Suzanne, la benjamine (Léa Seydoux), décousue, malheureuse, asphyxiée par un climat familial aussi irrespirable qu’indispensable, aussi nécessaire qu’insupportable.

Adapté (très fidèlement semble-t-il, si j’en crois Wikipédia), d’une pièce de théâtre de Jean-Luc Lagarce, lui-même mort du Sida à 38 ans, en 1995, Juste la fin du monde, malgré quelques tentatives d’en aérer la réalisation, est une sorte de huis-clos très étouffant, malsain, gênant, accentué par les travers du réalisateur, Xavier Dolan, adulé par la Critique mondaine et couvert des prix de tous les festivals possibles et imaginables. Il y a une sorte de manie de tout filmer en plans serrés, aussi bien les victuailles que l’on prépare pour le retour ou la satisfaction du fils prodigue que les physionomies des acteurs et tous leurs gestes.

Et puis on voit bien la trame théâtrale dans ce filmage des scènes obligées : Louis/Ulliel en tête-à-tête avec sa sœur Suzanne/Seydoux, avec sa belle-sœur Catherine/Cotillard,avec sa mère Martine/Baye, avec son frère Antoine/Cassel,enfin. On sent le procédé et l’artifice.

Ce qui n’abîme pas trop le film néanmoins : il faut reconnaître à Dolan (et à Lagarce, sûrement) une certaine qualité d’écriture, même si on ne parvient pas à croire une seule seconde (en tout cas au cinéma) à cette folie obsidionale qui paraît remuer la famille. Famille que Louis, mutique et épuisé, quittera sans lui avoir annoncé ce pourquoi il était venu : que sa mort était si prochaine que sa visite était aussi son dernier adieu.

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