La captive aux yeux clairs

Un bateau ivre.

Séduit par le titre français magnifique, La captive aux yeux clairs, bien plus beau que son homologue étasunien (The big sky) j’avais été à deux doigts, jadis, d’acheter le DVD, publié avec fracas dans l’élégante collection Ciné classics des éditions Montparnasse, dans de grands coffrets prestigieux avec, entre autres, Citizen Kane ou Nous avons gagné ce soir. Mon ange gardien m’avait retenu de faire l’emplette et je lui dois d’avoir économisé quelques picaillons. Un enregistrement télévisé a suffit pour combler ma curiosité et, au moins, ma déception ne m’a coûté que dalle.

Car comme elles sont longues, ces 2 heures 20 où il ne se passe pratiquement rien, où Howard Hawks ne propose guère qu’une sorte de documentaire sur le commerce des fourrures au milieu du 19ème siècle, documentaire conforté au demeurant par l’omniprésence d’une voix off qui, à intervalles réguliers, ponctue la longue navigation des aventuriers. Navigation tout au long du cours du Missouri vers les hautes terres froides où des Peaux-Rouges criards (en fait ce sont des Pieds Noirs mutiques, mais c’est pareil) troqueront le fruit de leurs chasses contre des étoffes et des fusils, sans doute mais aussi contre l’habituelle eau-de-feu, si inhérente à la conquête de l’Ouest (mais comme nous sommes dans la vertueuse année 1952, nous n’en parlerons qu’à peine).

Sorte de documentaire, donc, terriblement long et peu propice en péripéties. Mais, allez-vous me dire, comment se fait-il que vous paraissiez mettre à bas ce documentaire là, alors que vous idolâtrez, par ailleurs, et du même réalisateur, Hatari, qui est, à sa façon, lui aussi, un film documentaire ? Certes la question se pose. Eh bien d’abord parce que les vertes collines d’Afrique me semblent infiniment plus intéressantes que les vastes plaines du Far-West (ressenti tout à fait personnel, j’en conviens aisément). Mais aussi et surtout parce que les personnages mis en scène sont d’une insignifiance rare, d’une totale absence de profondeur.

Je n’écris évidemment pas cela pour les acteurs en tant que tels et surtout pas pour le cher Kirk Douglas qui fêtera peut-être, en décembre prochain, ses 103 ans (fêtera est une clause de style ; après tout, il s’enquiquine possiblement depuis de longues années dans notre Vallée de larmes, je n’en sais rien). Douglas capte beaucoup de la lumière, il est vrai, dans le rôle de Jim Deakins, sorte d’aventurier sympathique et bagarreur. Mais Dewey Martin, qui interprète Boone Caudill, qui va devenir un peu le fils spirituel, ou plutôt le jeune frère de Deakins n’est pas mal non plus. Et les autres acteurs, chacun dans leur style, ne font pas tâche.

Il est vrai qu’ils n’existent pas ; on ne sait rien d’eux, de leur vie passée, de leurs soucis présents et on ne peut s’y attacher alors que dans ce genre de film, qui présente un groupe d’hommes rudes réunis, ab initio par l’appât du gain mais peu à peu devant s’intégrer et se fondre dans un certain mélange, il est primordial d’ouvrir des portes sur des personnalités pittoresques. À peine effleure-t-on la vie du vieux Zeb Calloway (Arthur Hunnicutt), oncle du jeune Boone Caudill, mais c’est bien superficiel.

La catastrophe industrielle, au demeurant, c’est le rôle titre, la jeune princesse indienne qui sert de garantie et d’assurance tout risque à la troupe d’aventuriers qui la ramène dans sa peuplade dont elle avait été séparée à la suite d’on ne sait quel rezzou. Je sais bien qu’il n’est pas facile, pour une actrice, de s’imposer lorsqu’on n’a pas une réplique intelligible à dire (car la princesse, qui a pourtant passé un certain temps chez les Visages pâles, ne connaît pas un mot d’anglais), mais tout de même, elle est bien hiératique et ennuyeuse. L’actrice qui joue le rôle, Elizabeth Threatt, n’a, paraît-il, plus jamais paru ensuite sur les écrans. C’est une jolie fille, denrée dont le cinéma n’a jamais manqué, mais elle est aussi expressive qu’un paquet de marshmallows et à peu près aussi tentante.

Le film se traîne pendant une durée infinie, déployant de paresseuses péripéties toutes plus prévisibles les unes que les autres, mal secondées par une musique très oubliable de Dimitri Tiomkin. Une œuvre de commande, évidemment, placée par certains thuriféraires aux premiers rangs. Ce fut un grave échec commercial, ce qui est tout à fait compréhensible.

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