Comment j’ai détesté les maths

Le monde est une aventure.

Autant ne rien dissimuler et dire d’emblée les choses. Malgré les efforts désespérés de mes parents et une quantité invraisemblable de cours particuliers subis, ma relation avec les Mathématiques a été un long et un douloureux chemin de croix. Douloureux tant que j’ai fièrement essayé de monter dans le train en marche, résigné lorsque j’ai compris que je n’y parviendrais pas. Et surtout, surtout, merveilleusement soulagé lorsque mon Second Bac en poche (il y en avait deux, alors) en juillet 1965, j’ai pris conscience que jamais, jamais plus de ma vie je n’aurais à me pencher sur des questions qui me semblaient aussi incompréhensibles que rébarbatives et souvent grotesques. 0,5 en maths à l’issue de ma classe de Philosophie ne m’avait pas empêché de réussir l’examen, mais avait fait passer le vent du boulet sur ma nuque, le 0 absolu étant note éliminatoire.

Soulagé, délivré, certes, d’avoir vu cette torture s’interrompre. Mais en même temps je n’étais pas assez idiot pour n’être pas fasciné pour ces domaines inconnus et, pour moi, inatteignables : géométries non-euclidiennes, calcul différentiel, analyse des données, nombres irrationnels, voilà des notions dont je percevais la poésie virtuelle sans jamais pouvoir en pénétrer les arcanes élémentaires… Et d’ailleurs, aussi, les grands cerveaux de mathématiciens, de ces personnages si étranges, plongés dans des réalités que vous ne pouvez pas même envisager…

Et des histoires fabuleuses : celle d’Évariste Galois, génie qui a fondé à lui tout seul une branche des mathématiques et mort en duel alors qu’il n’avait pas vingt ans, Alexandre Grothendieck, reclus en ermite pendant les vingt dernières années de sa vie, Cédric Villani (comme Grothendieck détenteur de la Médaille Fields, le prix Nobel de la discipline) dont chacun connaît la dégaine de dandy romantique, le goût pour les broches en forme d’araignée… et les ambitions politiques… Et cela sans même évoquer le groupe à la fois bohème et savant Nicolas Bourbaki, qui, sous un nom de fantaisie, réunit des savants qui ont entrepris d’écrire une œuvre définitive et se sont donné pour règle de quitter le groupe les 50 ans atteints.

Quel rapport tout ce fatras avec un film, va-t-on me dire ? Et bien précisément, un délicieux documentaire qui a entrepris de faire entrevoir au barbare (c’est de moi et de mes pareils que je parle), sans prétention ni pédagogisme, ce domaine à quoi il n’a pas et n’aura pas accès. Car le film, évidemment, ne prétend pas que, si vous vous y étiez un peu davantage consacré, vous auriez pu tutoyer les sommets que fréquentent les sommités qu’il met en scène ; il y a, par exemple, quelques jolies séquences, à la fois fascinantes et désespérantes : au Congrès international de mathématiques de Hyderabad (Inde) où sont, cette année là, décernées les Médailles Fields, on est un peu (!) estomaqué d’entendre la nature des travaux pour quoi sont récompensés les lauréats : résultats sur la rigidité des mesures en théorie ergodique, preuve du lemme fondamental et, le plus mirobolant de tous (tout au moins à l’intitulé) invariance conforme de la percolation. Comme disait le regretté Professeur Choron dans les colonnes du premier Hara-Kiri : Que tous ceux qui ont compris quelque chose nous écrivent : ils ont gagné !.

Ce charmant documentaire d’Olivier Peyon a, tout au moins dans sa première partie, la qualité de faire percevoir aux ignares l’espace qui les sépare de ces êtres ailés qui imaginent le monde selon des critères que nous n’imaginons pas et qui le fait d’une façon intelligente.

Je suis moins convaincu par la deuxième partie du documentaire qui entreprend d’expliquer comment les mathématiques financières ont pris pied dans notre réalité immédiate, grâce aux algorithmes et aux capacités invraisemblables de calcul offerts par l’informatique et les nouvelles explorations des probabilités : un monde où l’on a tant voulu chasser le risque des savantes manigances financières qu’on a oublié qu’avant tout régnait l‘aléa qui vous met par terre comme un rien vos courbes sûres.

Je préfère évidemment la fascinante exploration de cette sorte de thébaïde mathématique de l‘Oberwolfach, une résidence plantée dans le Würtenberg où des mathématiciens du monde entier se retrouvent pour élaborer des théories de toute nature et de toute importance, unis simplement par le goût de la recherche et de la spéculation.

Plus ça va, moins je comprends quoi que ce soit à la poésie des spéculations mathématiques ; je n’en suis pas plus fier pour autant.

Leave a Reply