La charge de la brigade légère

Qui va à la charge perd sa place.

Je sais qu’il est de bon ton aujourd’hui de se gausser du ton du film de Michael Curtiz ; on lui trouve tous les défauts que la doxa contemporaine s’attache à extirper de nos cervelles : apologie du colonialisme, de la bravoure folle, des vertus guerrières, de l’élégance des uniformes et de la discipline des troupes de Sa Majesté britannique. J’ai même lu quelque part que des amis des animaux s’étaient émus parce que quelques chevaux s’étaient cassé les pattes lors des cavalcades et avaient dû être abattus (comme tous les chevaux sur tous les champs de course du monde, en tout cas jadis et naguère ; peut-être que maintenant on sait les soigner, tant mieux pour eux). Je sais aussi qu’il existe une version postérieure de l’aventure, réalisée par Tony Richardson en 1968 (tiens donc ! la date n’est pas insignifiante) qui prend le contre-pied de la légende dorée interprétée par Errol Flynn.

Je sais enfin que La charge de la brigade légère est un film étasunien et non pas anglais. Mais je me dis que si la Grande-Bretagne, isolée, affaiblie, blessée a pu et a su, avec un courage inimaginable, essentiel, résister au Diable entre juin 1940 et juin 1941, c’est aussi grâce à des films comme celui-là. Je n’ai jamais compris (ou j’ai peut-être trop bien compris) ce qu’on a à gagner à revenir sans cesse, sous prétexte d’un prétendu devoir de mémoire sur des faits d’armes et des actes d’héroïsme, sauf à affaiblir ses défenses immunitaires (ce qui est d’ailleurs sans doute ce qu’on recherche). C’est un misérable coup de pied de l’âne que donnent avec complaisance des tas de gens à ceux qui sont morts pour leurs patries ; mais il est de mode maintenant de sanctifier rebelles et déserteurs (revoir Un long dimanche de fiançailles).

Toujours est-il que si nous avons été bien contents de trouver la capacité de fierté et de résistance de nos voisins d’Outre Manche pendant la guerre, nous devrions bien percevoir que c’est dans la fierté des légendes qu’elle s’est forgée. C’est ce qu’on appelle le récit national, ce que l’école pédagogiste haineuse voudrait ôter de la cervelle de nos gamins. Dieu sait si je n’ai pas pour le colonialisme les yeux de Chimène, mais enfin cette armée britannique en avait de la gueule !

J’oublie ma bile noire et reviens au film, qui est magnifique. D’abord parce qu’il est, pour son époque de tournage, extrêmement original. Déjà il est féroce, brutal, sans pudeur : la tuerie des malheureux prisonniers de la citadelle de Chukoti, capturés par fourberie, est d’une violence rare : femmes et enfants sont massacrés sans aucune pitié et Curtiz ne s’interdit pas, tout à fait à raison, de montrer la dépouille sanglante de Prema, charmant petit garçon indigène (Scotty Beckett) et de sa mère. Il n’est pas si fréquent que ces réalités soient montrées aussi crûment.

Puis parce que s’entrecroisent, s’entrelient avec beaucoup de finesse les développements diplomatiques et militaires qu’aboutissent aux scènes de bataille et l’histoire personnelle du commandant Geoffrey Vickers (Errol Flynn) dont la fiancée Elsa Campbell (Olivia de Havilland) préfère le frère Perry (Patric Knowles). Je n’ai pas vraiment souvenir que le principal interprète et héros flamboyant d’un film rencontre de tels mécomptes. D’autant – et c’est sûrement là une des grandes faiblesses du film – que ce frère est d’une si totale insignifiance qu’on ne peut pas comprendre une seconde que la gracieuse Elsa puisse le préférer à son aîné, autrement plus séduisant.

Le film est d’une très belle tenue, doté de moyens exceptionnels et magnifiquement réalisé. Les scènes de bataille sont superbes : escarmouche dans le désert, assaut et défense de la citadelle de Chukoti et, bien entendu, charge de Baklava, geste fou qui ne se comprend qu’à la lumière de la volonté de vengeance des hommes de la 17ème brigade légère sur les traîtres de Surat Kahn (Henry C. Gordon) qui ont tué sans pitié leurs frères d’armes, leurs femmes et leurs enfants.

Et si on ne peut pas comprendre ça, c’est qu’on est bien près de renoncer à tout.

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