La charrette fantôme

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L’ennuyeuse Scandinavie

Mon 4 est bien près d’être un 3,5 et si je n’étais Duviviériste absolu, si Louis Jouvet n’apportait toute son extraordinaire présence, si je ne marquais un louche favoritisme pour mon compatriote andre Arnoux, la note serait moyenne, tant j’ai trouvé l’intrigue artificielle et les braves Salutistes empotés.

Disant cela, je vais déclencher des foudres humanistes et je conviens volontiers qu’il y a des élans très nobles, une ouverture à la charité qui n’est pas si fréquente que ça, une apologie du dévouement sans retour qui mérite d’être signalée ; mais – sans doute est-ce dû à ma vieille aversion pour les Scandinaves et le luthéranisme, je trouve cette charité caporalisée assez emmerdante et le personnage de Sœur Édith très cucul-la-praline (soit dit en passant, j’avais oublié que Micheline Francey, qui incarne la Salutiste poitrinaire, n’avait pas été que la Micheline de la Cage aux rossignols mais aussi l’ambiguïssime Laura Vorzet du Corbeau, la femme adulée du médecin fou, Pierre Larquey).

Et puis je trouve que Pierre Fresnay n’est pas très bon en David Holm, alcoolique paranoïaque, cyclothymique et brutal ; je ne vois pas comment il peut susciter l’amour qu’avoue à la fin la chaste Édith (que celle-ci ressente le profond besoin de le rédimer, je le conçois, mais elle éprouve davantage, et le dit), tant rien de ce qu’il est n’en fait un personnage intéressant. Fresnay joue ça sans beaucoup de finesse, avec une violence souvent mal mesurée ; il n’est pas dit, d’ailleurs, qu’il n’était pas davantage fait pour les rôles de type sanglé dans son milieu (La grande illusion), dans son élégance naturelle (L’assassin habite au 21), dans son apostolat, qu’il soit laïque (Le corbeau) ou religieux (Monsieur Vincent ou Barry) ; et ce n’est pas la triste pantalonnade des Vieux de la vieille qui me fera changer d’avis.

Je reconnais pourtant volontiers que le début et la fin de cette Charrette fantôme ne sont pas mal du tout (comme par hasard, ce sont les séquences où apparaît Jouvet), mais tout le corps central est assez languissant et trop empreint d’évangélisme luthérien…

Cela dit, je me suis amusé à constater certains rapports avec trois autres films, bien différents : l’un par la description du milieu de pauvres miséreux, enkystés de résignation et empoisonnés d’alcool : c’est Les bas-fonds de Renoir, avec – ! – Jouvet encore ; mais ce dernier film est bien plus sarcastique.

Plus curieux : il y a un plan où des amoureux s’embrassent sous un pont, alors que la foule passe qu’ils ignorent, qui me fait irrésistiblement songer à un plan presque identique des Portes de la nuit, aux Enfants qui s’aiment

Et réellement confondant : l’attaque par un Fresnay en crise de délirium de la chambre où tremblent de peur sa femme et ses enfants : à la cognée, qu’il y va, le David Holm… comme Jack Torrance-Jack Nicholson dans Shining ; serait-il possible que Kubrick ait vu ce Duvivier ? Ce serait bien intéressant de le savoir…

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