La chasse

Les  pièges de Subure.

Un tueur en série dans le milieu homosexuel sadomasochiste. Waouh ! Voilà de quoi éveiller mon intérêt. À dire vrai davantage pour le côté tueur que pour le côté homo. Parce que voilà un milieu dont je ne connais rien dans la réalité et à peine dans la fiction, ou plutôt la représentation. Donc La chasse. Si j’avais vu le film à la sortie, en 1980, j’aurais été effaré, stupéfié, scandalisé, dégoûté par ces boîtes de nuit gluantes où des mecs moustachus se roulent des pelles, mêlent leurs sueurs, se caressent et se torturent, procèdent à des pratiques barbares (il y a un fist-fucking particulièrement immonde avec des mains savonneuses préposées à des intromissions qui font frémir).

Et il est certain que, depuis lors, j’ai vu la virée de Jean-Paul Belmondo du Marginal de Jacques Deray dans une boîte de nuit gay en 1983, en version soft et, bien plus horriblement la descente de Marcus (Vincent Cassel) et de Pierre (Albert Dupontel) dans l’antre du Rectum lors du formidable Irréversible de Gaspar Noé en 2002. Et donc que les léchages de museaux ostentatoires me glacent moins que naguère. Ce n’est pas pour autant que j’ai été bien à l’aise devant le concours de mines que Friedkin a filmé ; ça devait tout de même le travailler un peu puisqu’il a réalisé en 1970 Les garçons de la bande qui mettait déjà en scène un milieu homosexuel.

Donc, dans le quartier le plus gay de New-York, qui était alors le Meatpacking District (paraît que ça a changé), des meurtres épouvantables frappent la communauté homosexuelle : un certain type d’hommes, sveltes, musclés, à belle chevelure noire : un tueur féroce scarifie, poignarde, découpe ses amants. La police est sur les dents et le chef de la brigade des mœurs, le capitaine Edelson (Paul Sorvino) recourt à une vieille idée policière qui a fait ses preuves : la mise en place d’un appât, censé attirer le maniaque.

Edelson fait appel à l’inspecteur Steve Burns (Al Pacino), qui présente les caractéristiques physiques des proies du tueur et lui fait miroiter que s’il réussit la mission, il recevra une belle promotion. Burns n’a vraiment aucune tentation ou fascination homosexuelle et il paraît remarquablement bien s’entendre au lit avec sa petite amie Nancy (Karen Allen). Mais la perspective d’un ascenseur professionnel le séduit et il accepte de jouer le jeu. Doté d’une nouvelle identité, d’un nouvel appartement, il se transforme en séducteur cuir et commence à fréquenter les cavernes sadomasochistes.

Ce qui est plutôt bien dans le film de William Friedkin, c’est qu’il ne demeure pas perpétuellement aux côtés de l’inspecteur Burns : la caméra s’attache aussi, et souvent, aux pas du tueur, Stuart Richards (Richard Cox) et le suit pour des meurtres particulièrement crados, l’un dans les massifs de Central Park (qui m’ont fait songer, dans le genre nocturne aux fourrés solaires de L’inconnu du lac d’Alain Guiraudie 2013). Et il y a aussi une certaine ambiguïté sur la possible évolution de Burns : à force de fréquenter un milieu délirant pour obtenir des indices ou des informations, le policier doit-il ou non donner des gages ? À un moment donné, il soupçonne un certain Skip Lee (Jay Acovone), l’attire dans un hôtel et commence à jouer un jeu sexuel pervers de ligotage : c’est en fait un piège tendu par la police et, de surcroît, Lee peut prouver qu’il n’est pas le tueur.

Toujours est-il aussi que Nancy, la petite amie, se plaint lorsqu’elle revoit son amant, de ne plus être touchée par lui…

Les choses s’accélèrent : Burns identifie de façon certaine le tueur, Stuart Richards, l’entraîne dans le fourré, le provoque et le blesse.Tout va bien. Si ce n’est que l’on découvre, à côté de l’appartement où était logé Burns, le corps mutilé de son voisin Ted Bailey (Don Scardino). Et la dernière séquence montre Steve Burns, en train de se raser avec un drôle de regard et Nancy, qui découvre, jetés sur un meuble le blouson de cuir et la casquette qui étaient l’uniforme des soirées troubles…

On ne peut pas rêver fin plus ouverte et ambiguë.

 

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