La nuit des traquées

Seins, sexe et sang.

Je me suis encore une fois laissé avoir et j’ai regardé un film de Jean Rollin. Remarquez, en écrivant cela, je suis en pleine hypocrisie puisque j’en ai vu bon nombre, dès Le viol du vampire (1968), La vampire nue (1969), Le frisson des vampires (1970), Requiem pour un vampire (1971). Mon hypocrisie n’ira pas jusqu’à affirmer que c’était exclusivement pour retrouver mes chers buveurs de sang des Carpathes que j’aillais alors payer mon tribut à ce cinéma de série (personne n’ignore, je pense, que le X n’existait pas encore de façon officielle). Mais il est vrai que la vision de jeunes femmes souvent très déshabillées et marquant généralement un goût prononcé (quoique non exclusif) pour leur propre sexe n’était assurément pas, dans mon jeune âge, des sujets qui me faisaient fuir cet écran de perdition (et de médiocrité, il faut le dire).

La nuit des traquées (1980) est un des premiers films soft de Mlle Brigitte Lahaie qui avait, en trois ou quatre ans, acquis une solide réputation dans le cinéma de genre, dans le X, autorisé sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, sans doute comme une manifestation de la société libérale avancée promue par le jeune Président de la République. Lahaie se reconvertit ensuite assez brillamment dans une sorte de courrier du cœur radiophonique (enfin… pas tout à fait du cœur, pas seulement). Toujours est-il qu’elle domine aisément la distribution du film, qui n’est ni meilleur ni pire que ceux qu’a tournés Jean Rollin.

Mais cette fois le réalisateur ne s’est pas confiné dans l’habituelle machinerie des films érotico-vampiriques : point de forêts nocturnes balayées par le vent, de lunes fatidiques entrevues au milieu des nuages qui courent, point de maisons ni de châteaux hostiles à portes brinquebalantes et meubles massifs, point de cimetières abandonnés à grilles rouillées. La bonne idée de La nuit des traquées et sans doute la seule est d’avoir établi l’intrigue dans les jungles urbaines : en grande partie dans le cadre glacial des tours de La Défense et pour une moindre durée dans l’atmosphère mécanique, désolée d’une gare de triage, avec ses lourdes machines haletantes, ses végétations anémiées, ses trains vides qui vont on ne sait où.

En deux mots, voici le discours : à la suite d’une brève fuite dans une centrale nucléaire, des émanations radioactives ont contaminé gravement plusieurs dizaines de personnes, fortuitement atteintes. Ces malheureux perdent graduellement toute mémoire autre qu’immédiate puis, peu à peu, le sens de l’équilibre, la capacité de coordonner ses mouvements, puis la parole ainsi de suite. On voit qu’on est en 1980 et que le méchant atome fait déjà peur. Pour étouffer le scandale mais aussi (peut-être : la chose n’est pas claire) pour essayer de trouver un remède, les Pouvoirs publics ont isolé les malheureux dans une sorte de tour clinique dirigée par le docteur Francis (Bernard Papineau), assisté de la cruelle Solange (Rachel Mhas) et protégée par des sbires sans scrupules.

Certains malades sont un peu moins atteints que d’autres et conservent le souvenir de la liberté. C’est le cas d’Élisabeth (Brigitte Lahaie) qui s’enfuit un soir, accompagnée de son amie Véronique (Dominique Journet) qui à un moment est perdue. Élisabeth, en pleine forêt, est recueillie par un automobiliste de passage, Robert (Alain Duclos) ; comme elle ne se souvient ni de son adresse, ni même de ce à quoi elle cherche à s’échapper, Robert l’héberge chez lui et naturellement devient son amant. Partant au matin au travail il lui laisse son numéro de téléphone. Mais à peine a-t-il disparu que surgissent le docteur Francis et Solange qui remettent la main sur Élisabeth.

Charme absurde des films de Jean Rollin : l’incohérence : car on n’explique pas comment les geôliers de la jeune femme, recueillie loin de la tour médicale, ont pu retrouver si vite sa trace et pénétrer dans l’appartement de Robert. Mais peu importe puisque c’est comme ça que ça marche.

Donc, revenue dans la tour, Élisabeth retrouve le petit monde effrayant des malades et les traumatismes qu’ils subissent : quelques scènes déshabillées, quelques scènes assez gore : un crâne défoncé à coups de marteau, des ciseaux plantés dans les yeux d’une jolie Catherine (Catherine Greiner). Nouvelle fuite infructueuse d’Élisabeth et Véronique, l’arrivée de l’amoureux Robert, qui ne peut pas grand-chose au désastre final : la mort d’absolument tout le monde, les malades étant euthanasiés puis brûlés dans un four, les valides s’entretuant à coups de revolvers.

On voit bien que le film ne fait ni dans la nuance, ni dans la mesure, ni dans la vraisemblance. Ni dans la gaieté, d’ailleurs. Ni dans le plaisir, d’ailleurs : la quasi-totalité des scènes de sexe (assez sages) sont marquées par la violence, voire la sauvagerie.

C’est tout un style Jean Rollin ! Qu’on peut parfaitement ne pas apprécier ; d’ailleurs est-ce que j’apprécie ?

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