La croisière

Plus qu’un naufrage.

De mauvais films, dans l’histoire du cinéma, des films insignifiants, ou gluants, ou vulgaires, mal filmés, mal photographiés, mal interprétés, mal dirigés, il y en a des quantités industrielles. On peut d’ailleurs ajouter que même les plus grands cinéastes, à quelques exceptions près (Stanley Kubrick notamment) ont, à un moment donné de leur carrière, raté un sujet ou un tournage. Qui ne tente rien n’obtient jamais rien. Je concéderai volontiers aussi qu’il doit y avoir, dans la palanquée de films que les chaînes de télévision débitent à flots continus sur nos petits écrans des machins aussi détestables que La croisière ; et on me dira, en se fichant de moi avec quelque raison, que je n’étais pas du tout obligé de regarder ça.

Évidemment. Mais soit masochisme furtif, soit curiosité mal placée, j’ai souhaité me rendre compte de ce que le pire cinéma français des temps contemporains était capable de produire, en donnant à Pascale Pouzadoux une réalisatrice qui n’est pas si inexpérimentée que ça (c’est son troisième film) des moyens financiers et techniques confondants (mais en rognant sur la distribution, faite de bric et de broc ; j’y reviendrai). Eh bien, ça fait froid dans le dos, c’est détestable et dégradant. Je m’en doutais mais je suis bien content de demeurer dans l’accablement, songeant néanmoins que 670000 personnes ont payé leur place pour voir ça dans une salle de cinéma.

Prenons un paquebot, un de ces monstres des mers qui démolissent les soubassements de Venise, temples du clinquant, du rutilant, du style Las Vegas le plus abouti, où cohabitent des milliers de touristes occidentaux servis par des armées d’esclaves philippins ou pakistanais. Ni plus acceptable, ni pire que les dizaines de géants des mers (comme ils disent) qui sillonnent les océans en fournissant à des abrutis des occasions de s’imbiber d’alcools divers (le all inclusive est là pour ça), de prendre des milliers de photos qui ne seront jamais imprimées et collées dans un album de famille, de s’ennuyer mortellement en proclamant qu’ils font la fête. Dans cette tour de Babel à l’image d’un monde où chacun ne rêve que de s’éclater (comme si l‘État islamique n’était pas là pour ça : vous éclater !), embarquent quelques personnages dont les destins vont s’entrecroiser, se relier et s’embrasser pour le pire d’abord et, évidemment, le meilleur ensuite.

Entrent en scène successivement la vieillarde alerte et bienveillante de la scène française, Line Renaud, monument gluant d’empathie vouée à toutes les bonnes causes (de la lutte contre le Sida à la promotion d’Emmanuel Macron) ; une habituée des paquebots qui a crevé sous elle quatre maris et qui s’en console avec un chien riquiqui et prohibé qu’elle trimballe clandestinement ; puis une fermière bretonne aussi vraisemblable que Charlotte de Turkheim, tout poitrail dehors, qui recherche désespérément son mari parti aux toilettes au début de la croisière (et qu’on retrouvera in fine suspendu devant le tuyau d’évacuation des eaux sales des cuisines : viva pipi-caca !) ; puis une droguée du boulot, grassouillette et hystérique, Marilou Berry, qui s’efforce de se faire détester par tous ; puis Antoine Duléry (mari de la réalisatrice, soit dit en passant, ce qui n’est pas interdit), mari piteux, cocu et déglingué qui s’est embarqué aussi clandestinement que le cabot de Line Renaud pour surveiller sa femme et l’amant d’icelle et qui est conduit à se déguiser en femme et à engager une aventure à connotation homosexuelle avec Turkheim (on sens que Certains l’aiment chaud a influencé la réalisatrice) ; enfin une jolie plante, Nora Arnezeder, censée être une voleuse à la Fantômette qui va fondre d’amour pour le prêtre attaché au paquebot.

Rien qu’à cet énoncé, on perçoit l’immondice ; on n’en ressent l’intensité qu’en voyant se développer les intrigues engagées par ce ramassis de sujets sociétaux. Et on s’émerveille de sentir se développer, s’épancher, se répandre, se métastaser à chaque séquence l’horreur prévisible des développements qui surgissent.

Amis qui me lisez, sauf si vous souhaitez faire une pénitence accablante pour des crimes graves que vous avez commis, fuyez cette épouvante dégoutante.

 

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