La dixième victime

Annales du futur.

Je partage évidemment l’opinion de tous ceux qui s’agacent de voir un film parti sur d’assez bonnes bases s’essouffler presque tout de suite et ahaner pendant 90 minutes à la recherche d’une véritable inspiration et surtout d’un véritable rythme. Car il y avait d’excellentes bases à développer sur cette société future où les vieux, qui sont des charges économiques lourdes, sont euthanasiés, où on peut naître par fécondation artificielle avec la contrepartie effarante qu’on est alors dépourvu de sensualité, où, surtout, afin d’éviter que les instincts meurtriers de l’Humanité s’épanouissent dans des guerres sanglantes, on a institutionnalisé la chasse à l’homme. Mais au contraire des Chasses du comte Zaroff où cette traque est transgression et remède à l’ennui (comme dans Un roi sans divertissement), la chasse de La dixième victime est célébrée et récompensée par la société.

Excellentes prémisses donc, qui satisfont le goût très humain de la violence et du crime, de La mort en direct comme dans le film de Bertrand Tavernier, des combats de gladiateurs et, dans une large mesure, des combats de boxe où le goût du sang est violemment présent dans les yeux des spectateurs. Les règles du jeu sont posées dès le début : les candidats au jeu seront alternativement chasseur et chassé et celui qui aura triomphé dix fois de la compétition recevra un million de dollars et un statut social considérable. C’est une nouvelle de Robert Sheckley qui fut ensuite adaptée par Yves Boisset sous le titre Le prix du danger.

On ne peut pas dire qu’Élio Petri ait mégoté sur la distribution : en 1965, Marcello Mastroianni est au faîte de sa notoriété et Ursula Andress n’a pas encore disparu de l’imaginaire fantasmatique occidental depuis qu’elle est apparue, Vénus sortant de l’onde, dans James Bond contre Dr. No. Et, en guest-star (parce qu’on la voit vraiment trop peu), il y a la délicieuse Elsa Martinelli. Les moyens n’ont pas manqué, il y a d’agréables vues de la Ville éternelle et quelques carrosseries de voitures qui doivent faire rêver les amateurs.

Ajoutons que le film est presque un recueil ethnographique et esthétique sur la période, que les costumes souvent noirs et blancs des jeunes femmes (à l’exception de ceux d’Ursula Andress, qui se singularise) paraissent inspirés de ceux d’André Courrèges, que la musique, les décors op-art sont bien amusants.

Mais là, on a fait à peu près le tour des qualités d’un film qui, les dix allègres premières minutes passées, s’étouffe et s’encalmine irrémédiablement, sans doute parce qu’il n’ose pas franchement appuyer là où ça fait mal.

Quand Jean Giono écrit (dans Deux cavaliers de l’orage), il n’hésite pas  : Il faudrait avoir un homme qui saigne et le montrer dans les foires. Le sang est le plus beau théâtre. Tu ferais payer, ils emprunteraient pour y venir. Le dégoût ? non, il n’y a pas de dégoût; oui, au moment où ça commence à couler, mais, qu’est-ce que c’est ? C’est parce qu’on voit cette vie qui s’échappe dans la campagne et qui va faire la folle de tous les côtés. Ça, c’est une histoire !.

Je suis surpris qu’un réalisateur italien se soit aussi fort limité à une vague histoire de science-fiction burlesque qui, dans son dernier quart devient absolument risible et même ridicule et presque parodique.

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