La féline

Méfiez-vous des femmes !

Il est certain que ça n’a rien à voir avec le navet tourné en 1982 par Paul Schrader qui semblait n’avoir pour unique ambition que d’offrir aux foules égrillardes la gracieuse anatomie de Mlle Nastassja Kinski et quelques images un peu violentes et poussiéreuses d’une sorte de malédiction originelle africaine. Si nous revenons aux sources et regardons le film de Jacques Tourneur avec l’attention qu’il mérite, nous ne voyons aucune complaisance et, bien au contraire, une certaine austérité pour faire monter, au fil des séquences, une atmosphère d’étrangeté bien agréable, comparable à celle qui irrigue Rendez-vous avec la peur, grand film du réalisateur qui donne parmi les meilleures minutes d’angoisse que j’aie jamais ressenties.

  J’ai accoutumé de juger toujours un peu trop longs la plupart des films que je regarde ; pour une fois, je déroge à ma pratique : je trouve qu’il manque à La féline une vingtaine de minutes qui auraient pu installer encore un peu davantage les singularités de l’histoire. Oliver Reed (Kent Smith) et Irena Dubovna (Simone Simon) se rencontrent, au zoo, devant la cage des léopards et d’emblée, se plaisent et s’attirent. À la séquence suivante, ils sont amoureux, à la séquence d’après, ils se marient. Oliver, qui est quelque chose comme ingénieur dans une société de construction navale, est proche d’une de ses collègues de travail, Alice Moore (Jane Randolph). Irena, d’origine serbe, dessinatrice de mode, se croit marquée par une très ancienne légende diabolique et craint que le moindre contact masculin ou la moindre contrariété la transforment en panthère sanguinaire. Tout cela est fort bien mais on ne détesterait pas que la personnalité des trois personnages principaux et la complexité de leurs relations soit un peu davantage creusée par Jacques Tourneur qui a un trop tendance à passer à toute allure sur ces prémisses.

Le spectateur. a compris tout de suite que les craintes d’Irena sont absolument fondées : sa fascination devant les cages du jardin zoologique, sa rencontre, dans un restaurant, avec une étrange femme féline qui la reconnaît de la même espèce qu’elle, la crainte qu’éprouvent en la voyant toutes les bestioles domestiquées, chats ou volatiles, son absolu refus de consommer le mariage ou même d’être seulement embrassée par son mari, ne laissent pas de doutes et entraînent graduellement le film vers son point de tension puis son paroxysme. Lassé de l’attitude de sa femme, Oliver cède à la demande amoureuse d’Alice et propose à Irena le divorce. Dès lors on sent bien que malgré les efforts désespérés de la femme-panthère, suivie (mais courtisée aussi) par un psychiatre, le docteur Louis Judd (Tom Conway), ça se terminera dans le sang.

En fait, dès ce moment, l’intrigue n’a plus beaucoup d’importance ; ce qui compte, c’est la façon dont Jacques Tourneur conduira son affaire ; et il le fait de main de maître, une fois qu’il s’est débarrassé de toutes les introductions et présentations des protagonistes. Comment, en ne montrant qu’un minimum, impressionner le spectateur ? C’est tout simple, apparemment : en ne lui montrant rien, en lui dérobant les images qui pourraient le faire goguenarder ou douter.

L’exemple majuscule est évidemment celui, très célèbre, de la piscine où Alice sent monter autour d’elle la férocité et entre en panique. Finalement, c’est presque rien : des effets de lumière, des bruits sourds, des feulements incertains, une sensation de total isolement qui distillent la panique. De la même façon (et un peu auparavant) sa marche anxieuse dans les rues de la ville parcimonieusement éclairées, marche qui fait songer à une séquence à peu près analogue de M le maudit (tout au moins me semble-t-il) et qui porte à un haut niveau la tension jusqu’à ce qu’un autobus survienne opportunément…

L’art du metteur en scène, tout à fait impeccable, ne parvient néanmoins pas absolument à compenser les faiblesses de l’intrigue. Mais, pour la qualité des plans nocturnes, des plongées au cœur des vieilles demeures inquiétantes, des bosquets du zoo agités par le vent, c’est un bien beau film…

Leave a Reply