Une étoile est née

L’une monte, l’autre pas.

Une étoile est née retrace l’ascension d’une jeune chanteuse, Esther Blodgett (Judy Garland) mise en parallèle avec la déchéance de Norman Maine (James Mason), le comédien qui l’a découverte et qui lui a mis le pied à l’étrier, dont la notoriété commence à pâlir en raison notamment de son alcoolisme. Leurs destinées se croisent et, au fur et à mesure que la renommée d’Esther (rebaptisée Vicky Lester) monte au firmament, la réputation de son mari s’égare dans le fait divers. Chacun des deux est d’ailleurs parfaitement conscient de ce croisement de courbes et le film a le bon esprit de ne pas faire mine de croire que, s’il s’amendait et devenait sobre, Norman pourrait retrouver la vigueur, l’ardeur, le talent des années enfuies.

 Comme dans toute histoire de ce type, il y a deux parties dans Une étoile est née ; et il est assez curieux de voir combien la première partie, consacrée à la révélation et à la montée en gamme d’Esther/Vicky est lente et ennuyeuse, alors que la seconde, qui étale la descente aux enfers du couple est mieux venue, vigoureuse et intéressante malgré son caractère terriblement mélodramatique. Mais il est vrai aussi que le film de George Cukor est d’une interminable durée, de près de trois heures. Je viens d’apprendre que, sur le même sujet, trois autres films ont été réalisés. Le premier film en 1937 de William A. Wellman ne compte que 111 minutes ; le nouveau film de Frank Pierson, en 1976, 140. Et la dernière mouture, en 2018, de Bradley Cooper atteint 136 minutes. Voilà qui est long, permettant toutefois de développer à son bon rythme un récit qui doit trouver sa dimension. Mais certainement pas diluer au delà du raisonnable une histoire aux racines assez simples, finalement.

Je suppose qu’il fallait accorder à Judy Garland, dont la notoriété, en 1954, était en chute absolument libre, un large vase d’expansion pour qu’elle puisse à nouveau s’accorder au public. Cela aurait été très bien – qui contesterait que la dame possède un abattage et une voix exceptionnels ? – si la musique avait été au diapason des remarquables qualités de l’actrice. Elle est, malheureusement d’un sous-niveau et on est incapable de se remémorer un refrain qui mérite de demeurer dans l’imaginaire. Et pour autant, Judy Garland envahit à de très nombreuses reprises la scène avec des mélodies particulièrement insignifiantes. J’exagère un peu, mais à peine, d’autant que la star n’est pas non plus une danseuse du niveau de Ginger RogersCyd Charisse ou Leslie Caron. On a vraiment l’impression que ça tire à la ligne et que George Cukor a décidé d’emblée que son film confinerait aux trois heures et distend l’espace pour atteindre cette durée.

Il y a dans Une étoile est née un aspect documentaire sur la grande dureté du monde d’Hollywood, son côté impitoyable et sans merci, sa faculté de faire de l’argent avec tout et n’importe quoi, sa facilité à rejeter dans les ténèbres extérieures ceux qui ne sont plus utilisables ; c’est peut-être là le côté le plus intéressant du film, celui qui le rapproche le plus exactement de notre quotidien : aucun état d’âme et utilisation de la moindre romance, du moindre fait divers pour faire les premières pages des journaux. Une sorte de Moloch incandescent, dévorant, avide qui n’a pas d’autre objectif que de grossir sans cesse et de se perpétuer. Finalement, l’histoire d’amour entre Norman et Esther n’a absolument aucune importance et son achèvement par le suicide altruiste de Norman qui voit bien qu’il est un obstacle dirimant à la poursuite de la carrière de sa femme est dans une absolue logique : The show must go on. Tout le monde a bien compris la leçon. L’usine à rêver peut continuer à nous jeter sa poudre aux yeux. Pour notre plus grand plaisir, il est vrai.

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