La fiancée du pirate

Me too !

Je ne crois pas que si la réalisatrice du film, Nelly Kaplan n’avait été une sorte de vache sacrée de l’intelligentsia germanopratine mâtinée des restes du surréalisme, si elle n’avait pas été l’amie – ou l’amante – de Philippe Soupault, d’André Breton, d’André Pieyre de Mandiargues, cette Fiancée du pirate qui date de près d’un demi-siècle n’aurait pas laissé grande trace dans l’imaginaire. Et cela même si la ritournelle écrite par Georges Moustaki et chantée par Barbara a eu aussi quelque succès… Ah ! J’oubliais presque de dire que Nelly Kaplan, sous le pseudonyme de Belen a écrit trois romans érotiques assez sophistiqués ; l’époque était vouée à ça : à peu près en même temps, Dominique Aury, figure importante des éditions Gallimard publiait, sous le pseudonyme de Pauline Réage la très enquiquinante Histoire d’O.

Tout cela pour dire que ce qui pouvait paraître, il y a cinquante ans, comme un vigoureux brûlot anticonservateur apparaît à la revoyure comme un des sempiternels témoignages rageurs des intellectuels chics et boboïsés contre le populo. Ah, de fait, il n’est pas beau, ce populo, filmé, en plus, dans une atmosphère de printemps pourri, pluvieux et frigide, dans une région plate et moche engluée de la boue des labours, dans un village aux maisons lépreuses, revêches, guindées. Un village dont tous les habitants, du haut en bas de l’échelle sociale – qui n’est pas bien longue, au demeurant – sont plus répugnants les uns que les autres, qu’on devine crasseux, bornés, avares, vicelards. Ça sent – ça pue ! – le gilet de flanelle graisseux et le slip douteux, ça rote et ça pète, ça tringle à la va-vite, ça bâfre et ça boit jusqu’à se faire sauter la sous-ventrière. Jolie collection d’humanité des campagnes rassises, vue depuis la terrasse des Deux magots.

L’idée est de faire de la victime-née Marie (Bernadette Lafont), rejeton naturel d’une sorte de romanichelle vaguement sorcière à qui le village bien-pensant a concédé une cabane dans les bois, qui gagne durement sa vie en souillon d’une ferme opulente, une sorte de symbole de la révolte. Tout le monde couche à l’œil avec Marie : aussi bien Irène son autoritaire lesbienne patronne (Claire Maurier) que le goujat de la ferme, Julien (Henri Czarniak), le cantonnier Émile (Francis Lax) et l’épicier Félix Lechat (!) (Jacques Marin). Ceux-ci et tant d’autres, sauf le facteur-garde champêtre Gaston Duvalier (Georges Géret), que Marie déteste.

Tiens, Georges Géret, ça ne vous fait pas penser à un autre film, à un rôle similaire, ou presque, de jardinier-palefrenier-homme toutes mains ? Dans Le journal d’une femme de chambre de Luis BunuelJeanne Moreau exerce la même fascination érotique que Marie sur les hommes qui l’entourent. Mais là où Bunuel déploie une sarcastique et élégante cavalcade, issue d’un des épisodes d’un roman d’Octave Mirbeau, on peut à juste titre penser que Nelly Kaplan a filmé une fable plutôt pesante…

Si excellents que sont les acteurs, les rapaces fous acharnés du corps de Marie, qu’elle délivre désormais à haut prix, si talentueux qu’ils sont – et à ceux cités plus haut, il faut ajouter Julien GuiomarJean ParédèsPascal MazzottiMichel Constantin, voire, dans un rôle muet de grabataire, Marcel Péres, ils paraissent s’agiter sans être dirigés ni contrôlés. Ils surgissent comme ça, au hasard, au petit bonheur. Le film n’est ni construit, ni ordonné et il finit par se répéter presque indéfiniment, jusqu’au moment où Marie, qui en a soupé de se faire sauter à doses massives et onéreuses, met le feu à sa cabane et fiche le camp, pieds nus.

Marie, c’est l’évidente Bernadette Lafont, dont la gouaille, l’œil vif, l’air canaille, mais aussi l’évidente amertume font merveille. Dureté de pierre, haine visible, envie de faire mal : elle sait tout montrer. Mais on savait depuis Les mistons, depuis toujours, donc, quelle grande comédienne elle pouvait être et n’a pas été tout à fait.

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