La pensionnaire

Piccolissima serenata

Je crois bien que La pensionnaire est le premier film d’Alberto Lattuada que je regarde mais le plaisir que j’y ai pris me donne bien envie d’aller un peu patrouiller du côté de ce cinéaste pour découvrir quelques autres pépites… on dit beaucoup de bien, par exemple, d’une comédie narquoise qui s’appelle Venez donc prendre le café chez nous, avec notamment Ugo Tognazzi et Milena Vukotic que j’apprécie particulièrement, mais qui semble n’avoir pas encore été éditée en DVD.

Venons en à La pensionnaire au titre subtil et plus ambigu qu’il n’y paraît, qu’on ne peut comprendre pleinement qu’à l’achèvement du film, qui est extrêmement bien composé, bien rythmé, alors qu’il ne s’y passe, à dire vrai, pas grand chose ; mais tout son intérêt réside dans la situation posée d’emblée sous le regard du spectateur qui la voit se développer alors que la plupart des protagonistes en ignorent tout jusqu’au dénouement. Disons simplement beaucoup de mal des couleurs en Ferraniacolor : j’ignore si c’est ce procédé qui les rend si laides ou la transposition qu’en a fait faire René Château sur le DVD. Passons.

Parce qu’il n’y a plus une chambre disponible dans les hôtels modestes de la station balnéaire de Pontorso, sur la Riviera méditerranéenne, Anna-Maria Mentorsi (Martine Carol) est contrainte de venir passer quelques semaines de vacances avec sa petite fille, pensionnaire d’une institution religieuse, dans le plus beau palace du coin. On dit qu’elle est veuve et sa beauté, sa réserve, sa discrétion, son excellente éducation la font accueillir avec bienveillance par le petit monde qui villégiature là. Au demeurant, l’établissement est peuplé dans une proportion déraisonnable d’affairistes, de rapaces, de parasites sociaux, de gourgandines. Il accueille aussi une bonne quantité de gigolos, de ragazzi qui cultivent avec talent l’art de séduire les épouses solitaires, seulement rejointes par leurs maris en fin de semaine.

Donc tout va pour le mieux sous le beau soleil (et les gais orages) de la côte ligure, sous le regard acéré, perpétuellement à l’affût du richissime Chiastrino (Carlo Bianco), qui possède presque toute la station, dont on sait bien qu’il n’a pas acquis sa fortune honnêtement (et il ne le nie pas), mais qu’on respecte en raison et à proportion de son ampleur ; chacun, d’ailleurs, est près à faire des bassesses pour s’en approcher et nouer avec lui des relations d’affaires, surtout le fabricant de réfrigérateurs Carlo Albertocchi (Mario Carotenuto) dont la femme (Clelia Matania) est l’image même de l’hypocrisie fielleuse et de l’avarice imbécile.

La charmante Anne-Marie n’est pas insensible au charme un peu rude mais intelligent de Silvio (Raf Vallone), actif, honnête, communiste, séduisant. Elle aimerait qu’il l’aide à changer de vie, de façon qu’elle puisse venir vivre honnêtement à Pontorso sans devoir quitter sa petite fille de qui elle est donc séparée tout au long de l’année.

Honnêtement ? Ah ! mais c’est que je ne vous ai pas tout dit : la belle Anna-Maria, à la conduite si réservée, si décente, presque si effacée, exerce habituellement, à Milan, sans doute à son grand dam, l’honorable profession de prostituée encartée. Tant que la chose n’est sue que par le commissaire de police du lieu, brave homme, puis par le maire, tout va à peu près bien et l’attachante repentie est à deux doigts d’être engagée dans un emploi modeste mais sage grâce à l’intervention de Silvio. Et même lorsque débarque Luigi (Carlo Romano), industriel ami des gluants Albertocchi qui est un des habituels clients d’Anna-Maria. Finalement, dans le film, les hommes ne sont pas de trop grandes canailles. Simplement des benêts : Luigi confie le secret à Albertocchi qui, sur l’oreiller, le glisse à sa femme.

Et c’est la catastrophe : lors du concours de châteaux de sable parrainé par le milliardaire Chiastrino, celui-ci décerne le premier prix au très minable petit pâté construit par la petite fille d’Anna-Maria et non aux superbes fortifications de la famille Albertocchi, sous l’admirable prétexte que les enfants doivent s’habituer le plus tôt possible à l’injustice. Bafouée, la mère Albertocchi répand partout son fiel et Anna-Maria est mise en quarantaine par toute la population du palace ; l’ami du maire qui devait l’embaucher, craint désormais pour sa réputation.

On est donc passé d’un film très agréable à suivre, mais qu’on pourrait juger un peu anodin à une situation dramatique – et même mélodramatique – jusqu’au retournement final qui, dans son cynisme narquois est absolument épatant : Chiastrino, le potentat devant qui tous s’inclinent, relève la fille perdue, lui offre son bras, sans en demander davantage et la réinstalle triomphalement au centre du microcosme ; il conclut La plupart de ces hommes auraient voulu devenir de grands voleurs, comme moi. Et toutes ces femmes se sont vendues à leur mari. Anna-Maria va commencer une nouvelle existence.

Et le plus penaud, c’est encore le brave communiste honnête, Silvio. Tout cela me fait penser, comme souvent, au délicieux proverbe maltais : La pierre tombe sur l’œuf : tant pis pour l’œuf. L’œuf tombe sur la pierre : tant pis pour l’œuf.

 

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