La Tunique

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Monument de caramel mou

Qui se souviendrait de La Tunique si elle n’avait pas été le premier film tourné en Cinémascope ? Je me rappelle encore les publicités considérables qui appelaient le bon peuple à venir de visu se rendre compte d’un progrès technique presque assimilé au parlant et à la couleur ! Il est vrai que l’écran large extasiait les yeux qui n’avaient pas dix ans, et que le déferlement des légions romaines, l’apparente majesté des décors, la noblesse des caractères des premiers chrétiens exaltaient les cœurs vaillants…

Monument, donc, monument pour l’histoire du cinéma, mais monument d’une grande médiocrité, en stuc et en toc, niais, emphatique, maniéré, à l’image du body-buildé Victor Mature, qui ne parvient pas à donner une réplique sans esquisser une grimace torturée… Richard Burton, en revanche, est aussi sobre que lui permet un scénario à la limite du grotesque (qui l’oblige à esquisser une crise de tétanie hystérisante lorsque la tunique du Christ le touche ou qu’on évoque le Calvaire) et Jean Simmons, dans un rôle d’une grande niaiserie, est bien jolie… Le meilleur est Jay Robinson qui joue le rôle secondaire de Caligula, ce qui, s’agissant d’un rôle de méchant absolu, est naturellement plus valorisant…

Revoyant donc cette Tunique, je ne m’étonnais guère que ces décors de toile peinte, ce carton-pâte omniprésent, cette dégoulinade de bons sentiments (la communauté chrétienne de Cana est tout de même un peu trop idéalisée pour ne pas tomber dans le gnangnan) ait, il y a plus de cinquante ans, enflammé mon ardent christianisme : les bons sont idéaux, les méchants, immondes, et les égarés (les ignorants, plutôt) rejoignent le bercail avec un enthousiasme revigorant ; sans me moquer, j’ajoute que les dernières images – Marcellus (Richard Burton) et Diana (Jean Simmons) marchant à la mort le sourire aux lèvres, éperdus d’amour et de foi – ne manquent pas d’une certaine grandeur.

Mais de bons sentiments et un écran large ne suffisent pas à sauver un film trop long ; je note néanmoins une chose amusante : la représentation de la violence, aujourd’hui, a fait quelques progrès (se reporter aux discussions sur  La Passion du Christ de Mel Gibson), mais on est devenu bien précautionneux envers les animaux : dans La Tunique, il y a une scène assez surprenante : à Cana, dont j’ai dit combien apparaissait idyllique et idéalement chrétienne la vie, deux petits garçons jouent ; l’un est juché sur l’âne qu’a donné à l’autre Marcellus ; et celui-ci de crier à son ami, pour que la bête avance plus vite, Frappe-le, frappe-le ! Donne lui des coups de bâton ! ; ça ne choquait personne à l’époque, mais oserait-on désormais, dans un film, mettre en scène de telles horreurs au risque d’être assassiné par les extrémistes du Front de Libération des Animaux ? Que nenni !

On voit par là que le progrès fait rage et que nous vivons une époque formidable !

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