Le mot de Cambronne

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Trop facile…

Même pour les thuriféraires les plus obstinés du grand Sacha Guitry, cette brève pochade n’est pas le meilleur, mais bien plutôt le plus irritant de l’auteur : facilité, art du tirage à la ligne, brio assez vain, théâtralisation forcenée. Rien qui aurait mérité de survivre puisque, d’ailleurs, et ainsi que Sacha le dit lui-même, ab initio, c’est sa centième pièce : un nombre, mais en aucun cas une date, un petit acte en vers un peu graveleux, comme on en jouait, jadis, à la grande excitation de spectateurs apoplectiques, sur nombre de scènes de boulevard…

À la décharge de l’auteur, rien n’est dissimulé de l’artifice : il s’agit bien d’un bout de vaudeville à quatre personnages, avec plein de mots, de formules quelquefois proches de ce qui fit la gloire de l’Almanach Vermot :

Je ne veux pas vous voir des mains de négrillon
Pour nous passer le pain grillé),

Des répliques qui tutoient l’obstacle, en le renversant même trop souvent : Ce fameux mot qu’il a laché
sans le mâcher, heureusement (et on sait que le mot est le Merde retentissant que Cambronne envoya aux Goddons aux dernières heures de Waterloo).

C’est vraiment du théâtre, dans ce que ça a de pire, conventions, et faux dialogues, mots d’auteur et scènes à faire. C’est funambulesque, si l’on veut, mais depuis toujours ringard. Le paradoxe est qu’encore aujourd’hui, avec qualité affligeante, ce genre de bêtise se joue encore à Paris et dans les provinces, à grand renfort d’artifices et de ressorts archi-éventés…

Sur le même DVD, les superbes Perles de la Couronne… Du vrai cinéma et de la pièce filmée : le théâtre n’en sort vraiment pas grandi…

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Ainsi qu’on l’a écrit, « le boulevard reste une sorte d’archétype narratif, un fonds de commerce obligé de la comédie à la française’’ et, sans en être très amateur, je peux, comme quiconque, m’esclaffer à gros bouillons devant une pièce vraiment réussie.

Mais il me semble que le genre est réservé au théâtre, grâce aux liens de complicité qui se créent entre les acteurs et les spectateurs et qui font – si le public est de qualité et si les acteurs sont en forme – dériver de dix, vingt, trente minutes la durée de la pièce, grâce au tonnerre des rires et aux capacités d’ajout, d’improvisation, de nouveaux jeux de scène des comédiens.

Au cinéma, par définition figé, cette complicité ne peut pas fonctionner et le boulevard est assez généralement de moindre qualité ; ainsi par exemple La Cage aux folles (que j’ai eu le privilège de voir deux fois au Palais Royal avec ses créateurs, Poiret et Serrault) qui ravale l’adaptation filmée (avec le pourtant grand Ugo Tognazzi) au rang d’une pochade forcée ; ainsi Le dîner de cons, que vous citez, qui n’était pas mal du tout, mais n’arrivait pas à la cheville de la pièce, jouée par le même Jacques Villeret, avec Claude Brasseur (et Gérard Hernandez, plus drôle encore, si possible que Daniel Prévost dans le rôle de Cheval).

Cela dit, mon appréciation sur Le mot de Cambronne – qui était sûrement, sur scène, un petit acte bien enlevé, mais non exempt de trivialité – n’est mitigée que parce que, dans l’œuvre cinématographiée de Sacha Guitry, ce n’est pas très cinématographique : au contraire du formidable Roman d’un tricheur ou des chatoyantes Perles de la Couronne, c’est – ce n’est que – du théâtre filmé (comme, dans le même coffret L’âge d’or, Mon père avait raison, qui est de la même farine…)

Le reproche s’adresse donc moins au fond qu’à la forme…

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