La vie d’Adèle – Chapitres 1 et 2

Qui a dit que la vie est simple ?

On a suffisamment parlé ici et là du film, qui a reçu un accueil critique et public excellent et je savais bien à quoi je m’attendais en regardant La Vie d’Adèle – Chapitres 1 et 2. Les polémiques fortes, le parfum de scandale dégagé par des scènes de sexe lesbien exhibées avec une grande crudité, les récriminations des techniciens qui disent avoir été exploités par le réalisateur, les jérémiades des deux actrices, Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos qui font mine de découvrir après coup qu’on les a englouties dans une histoire à la limite de la pornographie, les kilomètres de scènes tournées qui n’ont pas été montées mais qui – dit-on – pourraient donner matière à deux ou trois autres films et tout le toutim des véhémences cinématographiques qui ne font s’agiter, en fin de compte, que les professionnels de la profession.

Si la chose me paraît stupéfiante, sidérante même, je suis bien conscient qu’une certaine quantité d’individus est attirée par son propre sexe. À dire le vrai, la chose me semble encore plus surprenante que l’inclination pour le végétarisme, le caodaïsme, la poésie de Saint John Perse, les romans de James Joyce et l’investissement militant pour le centrisme. Mais je suis bien obligé d’admettre que tout ce fatras existe et qu’il concerne une part restreinte, mais significative de l’Humanité. Qui suis-je pour juger ? comme a dit le Pape François une des rares fois où il n’a pas énoncé des énormités.

Donc La Vie d’Adèle, l’histoire amoureuse douloureuse entre Adèle (Adèle Exarchopoulos) et Emma (Léa Seydoux). Véritablement intéressante et triste et prenante. J’ai plutôt de l’admiration pour le cinéma vériste d’Abdellatif Kechiche, la capacité qu’il a de saisir des regards, des visages, des histoires qui sont ceux de notre temps, de tous les temps peut-être et de les mettre en scène. C’est un cinéma quelquefois brutal, choquant, provocateur, mais en rien négligeable. Un cinéma ambitieux (L’esquive, en 2004, où des élèves de banlieue essayent de jouer du MarivauxLa graine et le mulet, en 2007, portrait parfait de la chaleur affective de braves gens du port de Sète). Le type n’est assurément pas facile à vivre, erre, dans ses engagements entre Philippe Poutou et Marine Le Pen mais tout ça n’a pas beaucoup d’importance. (Au fait pourquoi les journalistes croient-ils devoir venir interroger les créateurs sur des questions d’actualité ou des positions politiques, dont la plupart se contrefichent ?). On sait que Kechiche est un réalisateur exigeant jusqu’à devenir odieux, mais après tout est-il pire que Henri-George Clouzot qui giflait et humiliait ses actrices ou que Julien Duvivier qui était un véritable glaçon, totalement dénué d’empathie ? C’est l’affaire de ceux qui ont signé un contrat, après tout et qui savent à quoi s’en tenir…

Donc, la vie d’Adèle, une jeune fille, (Adèle Exarchopoulos), fascinée d’emblée par la vitalité efflorescente et un peu vénéneuse d’Emma (Léa Seydoux), issue d’un milieu plus bourgeois, en tout cas plus cultivé qui tente de se faire un nom dans la peinture contemporaine, à Lille et qui assume clairement son homosexualité, chose que découvre Adèle. Dût la chose étonner, je trouve absolument parfaites les scènes de rencontre, d’apprivoisement, de séduction entre les deux jeunes filles. Autant les dialogues avec les autres protagonistes (les parents, les amis, les copains) me semblent très minimalistes et limités, autant ceux d’Adèle et d’Emma sonnent vrai et parviennent à montrer un peu ce mystère absolu qu’est la séduction entre deux êtres.

Une fois que j’ai écrit cela, qui ne m’était pas évident, venons-en à la critique. D’abord l’épouvantable manie de Kechiche de filmer les trois quarts des scènes, quelles qu’elles soient, en plans gros et très gros : peu de repos pour l’œil, peu de captation de la réalité de l’entourage, tout est continuellement focalisé sur les visages des acteurs. Je ne sais si c’est un tic ou une facilité, mais ça lasse. Comme lasse la répétitivité des scènes, la longueur du film (presque 3 heures qui auraient pu, donc, encore s’étendre). Et puis surtout la complaisance, l’ostentation du réalisateur pour des scènes sexuelles trop précises, presque chirurgicales et à la limite de la pornographie, trop fréquentes et trop redondantes pour n’être pas volontaires. Je suis loin d’avoir une aversion pour la nudité féminine, d’autant que celle des deux actrices, qui sont particulièrement séduisantes, n’a rien de répugnant, loin de là. Mais il y a tout de même un moment où on se demande si Kechiche n’a pas pris un plaisir trouble et intense à filmer ces corps entrelacés, qui vont bien au delà de ce qui était nécessaire pour montrer le désir mutuel ressenti par les deux jeunes filles. On aurait compris à bien moins.

J’ai souvent été à deux doigts de la réticence ; ce n’est pas une question de pudeur, mais de distance et de mesure.

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