La vie est un long fleuve tranquille

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Vingt ans déjà, et pas une ride !

Il a fallu que je vérifie par deux fois : La vie est un long fleuve tranquille est sorti en 1988 ; mes enfants, tout jeunes à cette époque en connaissent des répliques entières par cœur ; un peu comme Le Père Noël est une ordure, qui est de 1982 ; faites l’expérience autour de vous, interrogez sur ces deux comédies de très jeunes gens : tout le monde les connaît, tout le monde les aime ; dans quelques temps Le dîner de cons les rejoindra, si ce n’est fait, au Panthéon des films-cultes français, peut-être francophones.

À ce niveau d’adhésion, il y aurait de la mauvaise grâce à nier l’évidence et à ne pas considérer cet étrange phénomène au rang qu’il occupe : une œuvre fédératrice qui réunit jeunes et vieux autour d’un scénario solide, d’un dialogue enlevé, de personnages très typés – archétypés, même et c’est assez intéressant, cela, parce qu’il n’y a pas tant que ça, finalement, de créations récentes qui créent une figure familière et immédiatement intelligible à tous.

Finalement, La vie est un long fleuve tranquille, de ces films cités, est celui qui m’apparaît le plus structuré, le plus malin, peut-être le plus cinématographique (ce qui n’est pas anormal, puisque les deux autres sont issus d’une pièce de théâtre).

Si l’argument n’est pas d’une folle originalité – l’interversion des bébés s’est déjà vue, que ce soit dans des comédies ou des mélodrames – ses conséquences sont roublardement tirées jusqu’au bout et ne sont pas du tout neutres. En philosophie élémentaire de Terminale, on appelait ça jadis la question de la prédominance de l’inné sur l’acquis ; en l’espèce – et je trouve assez bizarre qu’on ne l’ait pas vraiment fait remarquer -, Chatiliez opte lourdement et clairement pour l‘inné : Momo (le déjà excellent Benoit Magimel) porte en lui, élevé dans le joyeux bordel des Groseille, toute la supériorité intellectuelle des Le Quesnoy. À douze ou treize ans, il est déjà le vrai chef de famille, le concepteur des débrouilles diverses… (Notons que Chatiliez aurait trop grossi le trait s’il avait fait de Bernadette (Valérie Lalonde), le pendant féminin de Momo, une perturbatrice anarchique Groseille chez les Le Quesnoy : chez elle, l’éducation a tué les germes du lumpen-prolétariat…).

Même si cette iconoclastie n’a pas été vraiment relevée, elle va radicalement contre toute la pensée de gauche, sommairement exprimée en une croyance de la perfectibilité de la nature humaine par l’éducation. C’est déjà assez amusant, dans le paysage du consensus intellectuel dominant.

Si l’on ajoute à cela des traits de dialogues très enlevés et devenus quasi-proverbiaux (C’est lundi, c’est raviolis !), des trouvailles géniales (la fête du patronage et la musique de Jésus revient), des situations cruellement drôles (Josette l’infirmière (Catherine Hiégel) fondant littéralement de désir dès que le docteur Mavial (Daniel Gélin) l’approche et la touche), des notations fines (Mavial et son vin blanc), la présence d’acteurs excellents (outre les cités, le grandissime Patrick Bouchitey en Père Auberger, André Wilms en Jean Le Quesnoy, la délicieuse Hélène Vincent en Marielle), doit-on s’étonner que le film de Chatiliez (qui n’a pas fait mieux depuis lors, et périclite même, plutôt) soit aussi vaillant vingt ans après ?

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