L’Acrobate

Ne tient pas sur son fil.

Il y a comme ça des films un peu mythiques, tournés par des réalisateurs peu notoires, sortes d’objets cinématographiques non identifiés, qui n’ont pas eu de postérité, n’ont pas attiré grand public, se sont construits sans vedettes. Mais qui ont tout de même laissé une trace. À dire vrai, je ne saurais trop dire laquelle et auprès de qui, mais il y a bien longtemps que je me demandais à quoi pouvait bien ressembler L’Acrobate de Jean-Daniel Pollet. Vague souvenir d’un succès d’estime auprès de la critique bien-pensante, peut-être. Et ce succès était sans doute aussi du au nom de Jacques Lourcelles, co-auteur du scénario et auteur d’un monumental Dictionnaire du cinéma.

Voilà l’histoire de Léon, jeune homme étriqué, garçon de service dans un établissement de bains, potentiel souffre-douleur du monde entier, dédaigné par les femmes, et qui, pour conquérir le cœur d’une prostituée, devient danseur et champion de tango argentin. Pourquoi pas ? Aucun scénario original n’est à rejeter d’emblée. Le type, c’est Claude Melki, acteur fétiche de Jean-Daniel Pollet, qui trimballe le visage triste d’un homme vaincu d’avance par la vie ; il a une dégaine et une façon de bouger qui font, paraît-il, penser à Buster Keaton (pour ceux qui apprécient le burlesque muet étasunien). La prostituée (Laurence Bru), s’appelle Fumée, ce qui est assez joli.

Autour de ces deux personnages, une assez dense galerie d’acteurs : Robert (Guy Marchand), dit Ramon le gominé, chéri de ces dames et prétendu meilleur pote de Léon ; Madame Valentine, patronne des Bains-douches (Édith Scob, qu’on s’étonne un peu de voir là), Lili (Marion Game) qui couchotte un peu – mais très peu – avec Léon ; Madame Lamour (Micheline Dax), cliente et nymphomane et quelques autres utilités.

Mais aussi, par delà le monde mesquin, embué de l’établissement de soin, il y a celui de la danse avec, en vedettes (car ils le furent jadis !), Georges et Rosy, qui furent champions du monde (mâtin !) dans les années Trente et tenaient, rue de Varennes, à deux pas du boulevard Raspail, un cours de danses de salon très réputé et très fréquenté. Georges et Rosy jouent donc leurs propres personnages et c’est à eux que L’Acrobate est dédié.

Deux univers, donc, à qui on peut ajouter presque un troisième, celui des concours de danse, où des couples dont les messieurs sont strictement vêtus de noir et dont les dames sont chamarrées comme des cacatoès exotiques (pléonasme, je sais !).

Donc pour conquérir Fumée, Léon se lance dans ce monde singulier et devient si habile qu’il remporte tous les championnats, dans un gradus ad Parnassum qui le conduit du championnat du 20ème arrondissement au titre européen, en passant par le championnat de Paris et le championnat de France. C’est bien là que le bât blesse. On aurait beaucoup de sympathie pour ce film lunaire, quelquefois burlesque si c’était un court, voire un moyen métrage ; mais bien qu’il ne soit pas très long (1h40), le film finit par lasser tant il est répétitif. On a vite saisi que Léon et sa partenaire vont remporter toutes les compétitions et que le jeune homme, naguère délaissé, verra affluer à son comptoir toutes les gourgandines possibles.

Le pauvre Jean-Daniel Pollet tente bien d’adjoindre à son fonds de sauce quelques épices, mais les péripéties qu’il déploie tombent souvent dans le ridicule (l’épisode de la boule de bowling que Léon ne peut plus retirer) ou le graveleux (Madame Lacour/Micheline Dax refilant sa fille Boldine (Christine Féral) à Léon pour qu’il la dépucelle).

C’est très daté, mais ça n’a pas le charme des gravures anciennes.

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