Le boucher

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Le meilleur film de Chabrol ?

Infini regret qu’il n’y ait, dans l’imposante filmographie de Chabrol, au milieu de scories et de fanfreluches en toc, que quelques perles et – à mes yeux – trois diamants : La femme infidèle, Que la bête meure et Le boucher ; trois diamants et une capacité extraordinaire à placer le spectateur au centre du spectacle cinématographique. Que s’est-il passé ensuite ? Alors que ces trois films ont été de grands succès publics – peut-être pas des triomphes, mais des films qui ont été vus, et nullement méprisés ni par la critique, ni par les spectateurs – pourquoi cette entomologie intelligente et scrupuleuse est-elle partie dans tous les sens ? Ce mystère est agaçant.

Donc, Le boucher, film qu’on pourrait dire minimal, malgré la dureté du sujet, tant il se déroule sur les évidences de la vie, sur une faculté à capter la vie qui n’est pas donnée à tous. Il y a là-dedans une magie du terroir et de la lumière, et je gage que si elle n’avait pas été parée de la beauté tendre du Périgord, l’histoire triste de Jean Yanne et de Stéphane Audran n’aurait pas été imprimée de cette même façon inéluctable et désespérante.

le boucher3Parce que dans ces paysages tout d’harmonie et de civilité, dans cette France prospère des années Pompidou, dont on dira peut-être un jour, à l’instar de Talleyrand à propos de la fin du 18ème siècle que qui ne les a pas connues ne sait pas ce qu’est la douceur de vivre, l’horreur qui se noue prend toute sa force de personnages ordinaires, de situations ordinaires…

C’est très subtil de commencer une histoire de meurtre par un mariage filmé comme chez René Feret, avec tendresse et sympathie, avec le beau-père déjà un peu pompette, et l’idiot du village qui oscille entre les couples de danseurs ; c’est très beau de montrer ces deux solitaires qui sont si évidemment attirés l’un par l’autre et se raccompagnent dans la chaude lumière du soir ; c’est très fin que de décrire la montée d’un désir qui n’aboutira à rien, peut-être aussi parce que Mademoiselle Hélène est encore bien loin d’avoir mis de côté son chagrin d’amour, et parce que Popaul sait trop bien qu’il est une pauvre chose folle et assassine et qu’il n’y a pas d’autre issue, pour elle et pour lui que ce sacrifice qu’il fait à ce qui aurait pu être, à ce couteau qu’il plante dans ses tripes et qui est la seule solution.

C’est un film grave et beau où Jean Yanne est absolument sublime et où Stéphane Audran est belle à damner un Saint (d’ailleurs, c’est peut-être là la seule faiblesse du film : en avez-vous connu, vous, des maîtresses d’école de cette puissance de séduction ?). Tout tourne autour d’eux, et de la Dordogne tranquille.

Et, comme il ne faut jamais rien oublier, autour du sang.

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