Le café du cadran

Plus que l’air parisien, la douceur auvergnate.

C’est amusant comme ce film tourné en 1947 aurait pu l’être cinq ans auparavant, tant il est porteur d’orientations qu’on pourrait presque qualifier de vichystes : le détournement, par les lueurs brillantes et détestables de la grande ville d’un gentil couple provincial qui aurait mieux fait de demeurer dans le Puy-de-Dôme ou le Cantal où il aurait vécu, heureux et un peu terne, le reste de son âge. C’est qu’en fait, à nos yeux modernes, Travail, Famille, Patrie est un slogan pétainiste (et tout près de l’hitlérisme), alors que, pour les braves spectateurs du lendemain de la guerre, c’est une évidence de comportement : on devrait plus souvent lire les vertueuses pages de L’Humanité de l’époque et se rappeler que Jeannette Vermeersch, femme du leader incontesté et rayonnant du P.C.F., Maurice Thorez, était tout sauf féministe et progressiste.

Cette petite remarque rigolote faite, que dire du film, fort agréable divertissement qui lie avec une certaine habileté une sorte de reportage documentaire sur la vie bistrote du quartier des théâtres (ça doit se situer du côté de l’Opéra et des Grands boulevards) et l’histoire, un tout petit peu niaise mais bien tournée, du délitement d’un couple sous l’influence des paillettes parisiennes et de leur éclat fatal.

Julien (Bernard Blier) et Louise Couturier (Blanchette Brunoy) ont quitté Aurillac ou Clermont-Ferrand pour racheter un bel établissement de la Capitale, fréquenté par de nombreux habitués, notamment des journalistes mais aussi des théâtreux et des artistes des salles voisines. Même si la jeune femme n’est pas très à l’aise dans la grande ville et le nouveau milieu, le couple est assez ébloui et émoustillé par ce tourbillon d’allées et venues, par ce carnaval où les reporters du quotidien voisin croisent les hérons prétentieux du monde de la nuit et notamment le violoniste Luigi (Aimé Clariond) qui joue de son crin-crin pour les belles tables du grand hôtel d’à côté.

Tout le monde est coupable, dans le film : le brave Julien qui, fier de sa gironde petite femme et désolé de la voir s’ennuyer, la pousse à l’élégance et même à la coquetterie ; la gentille Louise qui, prenant goût aux belles étoffes et aux bijoux de qualité, commence à dépenser sans compter ; le vieux gandin, la vieille ganache Luigi qui, auréolé de son prestige de saltimbanque et fort amateur de chair fraîche, mène une guerre-éclair pour faire choir la belle… Et les autres personnages ne valent pas mieux, notamment le journaliste Dumur (Jean Deninx) qui prétend parler haut et fort à son patron de presse alors qu’il est une véritable carpette et traite honteusement son amoureuse Jeanne (Nane Germon). Et naturellement le bookmaker marron Bianchi (Pierre Sergeol), à qui le pauvre Julien, étranglé par la folie dépensière de sa femme a bien été obligé d’accepter les services…

Il n’y a, en fait, qu’un seul personnage positif, le vieux garçon de café Victor (Charles Vissières), qui est mesuré, prudent, clairvoyant, mais impuissant à empêcher les bêtises de ses patrons et, à dire vrai, assez indifférent à leur dérive : il faut bien vivre : il a été employé du temps des prédécesseurs et le sera par les successeurs. La vie est comme ça.

Le film est bien mené, l’étau se resserre avec ce qu’on aime ressentir de fatalité mauvaise et il a le bon goût de mal se terminer. Petit spectacle de samedi soir, dira-t-on ? Sans doute, mais comme ils étaient intéressants les samedis soir d’avant…

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