Le Cardinal

Le festival des cas de conscience.

Trois heures bien tassées pour l’adaptation d’un de ces gros romans étasuniens élaborés sous l’emprise des ateliers d’écriture. Des romans où il ne manque ni un retournement de situation, ni une scène larmoyante, ni un cas de conscience qui vous glace dans votre siège (en vous interrogeant sur ce que vous, vous auriez fait). Qui, aussi, vont chercher les remugles de l’Histoire pour les exhiber devant le spectateur indigné des exactions racistes du Ku-Klux-Klan et des hystériques du national-socialisme allemand. On met un peu de tout dans la centrifugeuse : histoires d’amour contrariées ou vaines, tutoiements de l’Histoire, choc des volontés, mystères du Vatican. Il ne manque que la cerise confite pour emballer le chaland.

Honnête artisan du cinéma hollywoodien, Otto Preminger fait le boulot, comme on dit aujourd’hui. Importants moyens, images bien cadrées, multitude d’acteurs, sens des scènes de foules, habile manipulation des différentes temporalités. Car Le Cardinal est, finalement, le filmage de la suite des réminiscences qui empreignent et secouent Stephen Fermoyle (Tom Tryon) lorsqu’on lui lit la bulle qui le crée Cardinal. Une plongée dans le passé, lors d’épisodes cruciaux de sa vie et de sa vocation. Vie et vocation agitées, placées à quelques carrefours.

Comme on est dans un gros roman de plage, on s’imbibe de préoccupations existentielles. Finalement, Le Cardinal, c’est un peu le festival des cas de conscience, ces fameuses angoisses qui mettent mal à l’aise des hommes qui croient en une transcendance et se trouvent coincés devant les grincements qui surviennent entre la théorie et la pratique. Ou plutôt l’idéal et la réalité. Depuis l’Antiquité, le cas de conscience est un vieux truc qui marche toujours : je ne suis pas certain que les lycéens de notre siècle se penchent encore sur les tourments du Cid, partagé entre son amour et son devoir, mais c’est une affaire qui fonctionne un maximum.

Henry Morton Robinson, qui est l’auteur du livre dont a été adapté le film de Preminger, n’a pas trop fait dans la nuance : dans la centrifugeuse que j’évoquais plus avant, il a mis, pêle-mêle, les questions qui touchent le mariage inter-religieux, la sauvegarde, lors d’un accouchement dangereux, de la vie de la mère ou de celle de l’enfant, le célibat des prêtres, voire le suicide libérateur devant la barbarie : on n’est guère plus exhaustif. Pour faire bonne mesure, il y a une large pincée d’un racisme abominable pratiqué en Georgie par les fous furieux du Ku-Klux-Klan et la mise à sac par d’autre cinglés nazis de l’archevêché de Vienne juste après l’Anschluss de 1938.

Au fait, ai-je conté l’histoire ? Celle d’un jeune prêtre d’origine irlandaise, Stephen Fermoyle (Tom Tryon),issu d’une famille modeste, extrêmement brillant, repéré, lors de ses études de théologie à Rome par le cardinal Quarenghi (Raf Vallone, remarquable). Un Prince de l’Église qui va le suivre, le piloter, l’orienter durant tout son parcours. Mais ce parcours ne manque pas d’aspérité, d’autant qu’il ne s’inscrit pas dans une perspective de carrière mais dans une vocation exigeante. Et que l’Histoire, la grande, entre la Première et la Deuxième guerre, ne se laisse pas oublier.

Si le film prend quelques libertés avec la vérité, il n’est pas pour autant à charge. En fait, Fermoyle joue, dans la fiction, et lors des derniers épisodes, ceux de l’Anschluss, de l’annexion enthousiaste de l’Autriche à l’Allemagne, en 1938, le rôle que joua Eugenio Pacelli, le futur Pape Pie XII, à qui des ignares et des crétins imputent une responsabilité dans la déportation des Juifs. Pacelli, alors Secrétaire d’État (c’est-à-dire ministre des affaires étrangères) du Saint Siège, outre qu’il fut le rédacteur de l’encyclique Mit brennender Sorge (Avec une brûlante inquiétude) qui, en mars 1937 avertissait les catholiques de l’horreur du nazisme, fut, aux côtés de Pie XI, celui qui convoqua à Rome l’archevêque de Vienne, le cardinal Innitzer (Josef Meinrad) après ses déclarations complaisantes vis-à-vis de l’hitlérisme.

Trois heures, n’empêche, c’est long. Mais ça se laisse voir. Un gros reproche toutefois : l’acteur principal, sur qui, finalement, repose toute l’architecture du film, (l’inconnu Tom Tryon), est doté d’une belle physionomie mais n’a aucune densité, aucune épaisseur, aucune présence. J’aurais aimé Burt Lancaster, par exemple…

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