Le clan des Siciliens

Presque un chef-d’œuvre !

Peut-on imaginer ce qu’aurait été Le clan des Siciliens si les dialogues, au lieu d’être assez banalement écrits par José Giovanni l’avaient été par Michel Audiard ? À revoir le film, archétype et sommet de la grande production française de divertissement de la décennie 60, on se dit qu’il ne manque que le génie verbal.

Car tout le reste y est, au niveau supérieur : histoire, spectacle, acteurs, musique, rythme, suspense. À tout le moins si, en spectateur de bon aloi, on n’est pas trop regardant sur les invraisemblances et si on veut bien se laisser emporter dans ce récit à la limite du merveilleux (du magique, si l’on préfère) où les détenus particulièrement surveillés peuvent s’évader d’un fourgon cellulaire en découpant son plancher et où les avions de ligne gros porteurs se posent sur un opportun segment d’autoroute en construction. (Il doit bien y avoir des cafards parcimonieux qui nous démontreront qu’une micro-scie circulaire, comme celle dont est munie Sartet (Alain Delon) au début ne pourrait pas découper une si grande quantité de tôle et d’autres qui prouveront par de savants calculs que le poids d’un DC8 ferait s’effondrer les piliers routiers).

images (3)Sinon, qu’est-ce qui manque ? On y voit les trois plus grands acteurs de l’époque (et de bon nombre d’autres) au meilleur de leur caractère y jouer des personnages très typés qui ravissent l’amateur ; on peut naturellement chipoter, trouver que les rôles du patriarche sicilien Vittorio Manolese, interprété par le Parigot Jean Gabin et du commissaire breton Le Goff, joué par le Parmesan Lino Ventura auraient pu être intervertis, mais c’est tout de même un peu absurde. Et ceci malgré l’accent italien pathétique de Gabin qui a certes, comme il le dit au tout début, quitté la Sicile à 9 ans. Je n’imagine pas, en tout cas, que la famille patriarcale dirigée d’une main magistrale puisse l’être autrement que par un vieillard à l’œil bleu et à la parole rare.

Quant à Sartet (Delon), d’une cruauté et d’un cynisme exceptionnels, il fait songer à Jacques Mesrine, tueur du même acabit, heureusement zigouillé, en 1979, dix ans après la sortie du Clan des Siciliens

clan7Mais de temps en temps je m’interroge : combien de temps ce film, qui eut un immense succès, à juste titre, à sa sortie, pourra-t-il être apprécié par les générations actuelles : qui comprendra qu’en 1970 on pouvait pénétrer aussi facilement dans l’enceinte du Palais de Justice, aujourd’hui gardé comme un château-fort ? qu’on devait, pour obtenir, de l’aéroport d’Orly, le numéro de téléphone d’un hôtel à Rome, patienter plusieurs minutes ? mais qu’on pouvait, aussi, accéder avec tant de facilité à la piste d’envol ?

Et bien entendu que les malfrats, même les petites mains des casses, étaient élégamment habillés et non vêtus, comme ceux de maintenant, en tortues ninja ?…

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