Le cuirassé Potemkine

Épopée monumentale et un peu enquiquinante.

Désigné un temps (en 1958), par une coterie de critiques Meilleur film de tous les temps, Le cuirassé Potemkine, qui date de 1925, impressionne encore par la grandeur lyrique de la mise en scène, le souffle des scènes de foule, le sens extraordinaire qu’avait Eisenstein de composer des images à la géométrie compliquée (quelques merveilles comme, par exemple, les plans initiaux sur les hamacs des matelots qui s’entrecroisent dans les soutes du navire).

Des esprits chagrins peuvent aujourd’hui tordre le nez devant ce qui est une œuvre de propagande engagée, presque avouée même (ainsi le visage de la dépouille mortelle du valeureux Vakulinchuk (Aleksandr Antonov), le chef de la mutinerie, ressemble-t-il très fort à celui de Staline : c’est presque un message subliminal). C’est souvent le sort des films qui se mettent au service d’une cause, si dévoyée qu’elle est et si talentueux qu’ils sont et qui ne peuvent que pâtir ensuite de la désaffection et du désaveu qui la frappent. Et je crains qu’on attende encore bien longtemps l’édition des films de Leni Riefenstahl, même ceux simplement consacrés aux exploits olympiques de Berlin 1936.

Au delà de l’outrance partisane, du schématisme de la représentation des rapports humains, du manichéisme sans nuances qui font nécessairement partie du genre, Le cuirassé Potemkine est sans doute ce qui se fait de mieux dans le cadre du cinéma muet. Muet, et cependant sonorisé, doit-on ajouter, et le DVD est plutôt bien édité, proposant trois musiques d’accompagnement différentes (j’ai choisi celle de Chostakovitch ; il serait sûrement intéressant de refaire l’expérience avec les deux autres compositions).

L’ennui, lorsqu’on se heurte à ce qui apparaît comme un chef-d’œuvre de l’histoire du cinéma, c’est qu’on risque de l’embaumer dans la révérence paralysée et qu’on peut bien difficilement se détacher du sentiment de respect un peu confit qu’on se doit d’éprouver. On regarde donc sans oser trop se dire que ça manque un peu de dialogues, que l’exaltation révolutionnaire est un peu théâtralisée, et qu’un film sans personnages principaux, sans histoires individuelles et sans fil directeur clair, c’est tout de même un peu ennuyeux.

Dit ainsi, c’est un peu rebutant, j’en conviens. Je ne suis pas certain que le cinéma muet soit aujourd’hui bien regardable, si ce n’est à titre de témoignage historique et pour ceux qui ont envie de découvrir les premiers éléments d’une grammaire de l’écran qui s’ébauchait et allait devenir l’art majeur des décennies suivantes.

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