Le dernier métro

Enluminure anodine.

Difficile pour un réalisateur alors aussi expérimenté que François Truffaut de rater un film quand on y convie deux des acteurs les plus prestigieux du cinéma français, Catherine Deneuve et Gérard Depardieu, encadrés par de solides et excellents seconds rôles et qu’on met en scène, avec des moyens très suffisants une période historique certes explorée sous toutes ses coutures mais qui semble fasciner de plus en plus au fur et à mesure que ceux qui l’ont connue disparaissent. (Et même, pourrait-on ajouter, que ceux qui ont connu ceux qui l’ont connue se font vieux… après tout, ça fait plus de 75 ans, aujourd’hui…).

Période dotée donc d’une aura légendaire, souvent à juste titre tant elle recèle de silhouettes floues, de circonstances ambiguës, d’interrogations sans possibles réponses, tant elle fourmille de situations où tous les repères habituels sont estompés. Personne n’a mieux décrit cela que Patrick Modiano et c’est vers lui que Truffautet ses co-scénaristes, Suzanne Schiffman et Jean-Claude Grumberg auraient dû se diriger, comme l’avait fait, quelques années plus tôt, Louis Malle pour tourner l’éblouissant Lacombe Lucien.

C’est curieux, chaque fois que je regarde Le dernier métro, malgré la situation mise en scène, malgré la persécution antisémite, malgré l’abondance des uniformes vert-de-gris, malgré les décors et les costumes, malgré la transposition de la paire de gifles assénée par Jean Marais au critique dramatique Alain Laubreaux en algarade entre Daxiat/Jean-Louis Richard et Bernard Granger/Gérard Depardieu, je ne parviens pas à reconnaître dans l’atmosphère de l’Occupation telle qu’elle est montrée dans de très nombreux films de toute qualité : j’ai toujours l’impression que le film est une toile peinte, un placage, une mise en scène.

On me dira que c’est bien normal puisque presque tout se joue entre cour et jardin (et les coulisses et les sous-sols bien sûr) mais ça ne me convainc pas : je n’ai jamais l’impression que Lucas Steiner (Heinz Bennent), le patron du théâtre et mari de Marion/Catherine Deneuve risque vraiment sa peau ; et regardez la scène de l’arrestation dans une église où la manécanterie chante sagement Sauvez, sauvez la France au nom du Sacré Cœur d’un ami résistant de Granger/Depardieu : il y a là une sorte de scénographie un peu dansée, un peu ridicule : rien à voir avec l’angoisse qui monte continuellement dans L’armée des ombres.

Là une incidente sur le caractère décoratif du film : j’ai bien ricané en constatant que les scènes de rue ont été tournées en studio et que le carton-pâte y est aussi visible (et peut-être même un peu davantage) que dans les films de la Qualité française que Truffaut et ses copains des Cahiers du cinéma descendaient à coups de bombes incendiaires quand ils prétendaient créer une Nouvelle vague à coup de son direct et de prises de vues en extérieur. C’est dire assez qu’une fois les vieilles barbes chassées – ou plutôt les places conquises à leurs côtés – les révolutionnaires se sont pieusement assagis (ce qui est d’ailleurs le sort et le propre de tous les révolutionnaires, lorsqu’ils ne se sont pas entre-zigouillés).

Revenons au film ; c’est la transposition d’une histoire vraie (Margaret Kelly, fondatrice des fameuses Bluebell girls du Lido cacha pendant la guerre son mari juif, Marcel Leibovici) ; la musique de Georges Delerue est ravissante et les succès de l’époque (Sombreros et mantilles, Mon amant de Saint Jean) s’y insèrent bien ; il y a même, sur ce point un excellent moment avec l’interprétation par une chanteuse inspirée de Léo Marjane du grand succès de Zarah LeanderBei mir bist du schön (qui, ironie glaçante, est à l’origine une chanson yiddish) ; les acteurs secondaires sont très bien, au premier rang de qui Jean Poiret, homosexuel précieux, Maurice Risch, homme à tout faire bougon, Paulette Dubost, camériste discrète. J’apprécie moins le rôle d’Andréa Ferréol, décoratrice lesbienne et la relation qu’elle noue avec Sabine Haudepin, actrice qui veut arriver à tout prix me semble un peu artificiellement plaquée : c’est d’ailleurs bien là la manière et la manie de Truffaut : bourrer son film de trop de thèmes.

Le dernier métro a été un succès considérable, critique et public. Mais au regard des premiers films de la saga Doinel et de la délicate et si triste Peau douce, c’est plutôt banal…

Ah, au fait, savez-vous pourquoi Jean Marais alla calotter Alain Laubreaux ? On dit beaucoup que c’était parce que le critique avait éreinté La machine infernale dans les colonnes de Je suis partout ; sans doute ; mais sans doute aussi parce qu’il avait qualifié Marais d‘Homme au Cocteau entre les dents ; ce qui était rosse mais pas mal trouvé du tout, non ?

 

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