Le dernier roi d’Écosse

L’État sauvage.

Riche nomenclature des dictateurs africains sanguinaires d’après l’indépendance ! Dictateurs qui se maintenaient généralement au pouvoir grâce aux jeux complexes des Puissances mondiales, toutes souhaitant préserver leurs intérêts économiques ou géopolitiques ou en acquérir au détriment des autres. Puis la folie d’avoir conservé sur ce continent où l’allégeance n’est pas nationale mais ethnique le corset des frontières coloniales, ce qui entraîne à la fois conflits de territoires et favoritismes effrontés. Comme l’écrivait dès 1962 le sociologue de gauche René Dumont (qui fut le premier candidat écologiste à une élection présidentielle, en 1974), L’Afrique noire est mal partie. Cinquante ans plus tard, elle n’est toujours pas arrivée, d’ailleurs.

Dans la longue, épouvantable, interminée nomenclature de ces dictateurs d’Afrique, Idi Amine Dada occupe une place excellente. Une longue liste, dites-vous ? Bien oui ; et comment ! Mengistu Hailé Mariam en Éthiopie (77-91), Francisco Macias Nguéma en Guinée équatoriale (68-79), Jean-Bedel Bokassa en Centrafrique (66-79), Robert Mugabe au Zimbabwe (87-2017) et bien d’autres ; j’ai la flemme de chercher mais je sais que la dictature, l’horreur, la folie font partie de l’histoire africaine. Remarquez, en Asie, Mao Tsé-toung ou Pol Pot ne font pas mauvaise figure et, chez nous les regrettés Adolf Hitler et Josef Staline tiennent aussi fièrement leur partie. Sans oublier que Robespierre, Marat, Danton ne peuvent être dédaignés.L’horreur est partout et de tout temps ; à quoi bon réitérer des évidences, d’ailleurs ? On sait bien que la vie des hommes est fabriquée avec des tueries abominables et que des fous furieux sont à la tête d’États parfaitement honorables. Ne faisons pas mine d’être étonnés.

Le parti-pris du Dernier roi d’Écosse, film de Kevin Macdonald adapté d’un roman de Giles Foden est de mélanger habilement des événements réels à une complète fiction. La personnalité étonnante du chef d’État ougandais avait déjà fait l’objet en 1974 de Général Idi Amin Dada, un reportage de Barbet Schroeder où le dictateur jouait son propre rôle et s’exhibait avec une grande complaisance (comme du reste le fera plus tard, en 2007, Jacques Vergès dans L’avocat de la terreur du même Schroeder). La fiction consiste à introduire un personnage inventé, le docteur Nicholas Garrigan (James McAvoy) qui est venu chercher l’aventure dans un dispensaire africain et qui, par une suite de hasards singuliers, est pris en affection par Amine qui en fait son médecin personnel et son proche conseiller.

La finesse du film est de montrer que les yeux de Nicholas voient d’abord à peu près ce que les Ougandais voyaient au début de la présidence du dictateur, lorsqu’à la suite d’un coup d’État, en janvier 1971, il a chassé le président Milton Obote qui avait des sympathies pour le socialisme soviétique. Bien accueilli par la population (et surtout par son ethnie nubienne), chaleureux, beau parleur, charismatique, ce géant (1,98 m., 126 kgs) a le sens du contact, de la répartie, de l’humour. Il paraît dégager une sympathie immédiate. Et le jeune médecin le ressent de cette façon, emporté par le torrent vital, l’énergie, le grand rire du Général.

Et quand on a ce genre d’amis, qu’on admire et qui vous choie on n’ouvre pas vite les yeux ; on ne veut pas se rendre compte que la population commence à tirer la langue, que les décisions économiques et politiques prises sont erratiques, que des opposants disparaissent mystérieusement, qu’il y a des cadavres dans les fossés de Kampala. C’est comme ça : on n’a pas vraiment envie de bousculer sa jolie vie en prenant conscience que son pote et celui qui vous fait vivre dans le luxe, la facilité, l’euphorie est en fait un tueur sanguinaire. On peut comprendre. On peut, sans doute.

Tout cela se passe au milieu des circonvolutions que mènent les Puissances au milieu d’un État qui n’existe pas et de populations à la dérive. Des moments où le fardeau que portait l’Occident s’effiloche et où les derniers défenseurs de cet équilibre s’effacent. Approché par Nigel Stone (Simon McBurney), une sorte d’agent secret britannique cynique et réaliste, Nicholas ne comprend pas qu’il marche vers le précipice. Le film s’achève lors de l’affaire d’Entebbe, le 27 juin 1976 et du détournement par les Palestiniens et les Allemands communistes de la Rote Armée Fraktion d’un avion qui reliait Israël à Paris. Affaire bien et vigoureusement réglée par le Mossad, qui n’a pas fait de quartier (voir Raid sur Entebbe d’Irvin Keshner de 1976).

Un film bien intéressant en tout cas, qui montre et démontre que les pires canailles ont aussi leurs séduisants côtés. Quelle révélation, n’est-ce pas ?

 

Leave a Reply