Le droit de critique

image1Nos temps sont doux !

Ceux qui appartiennent  à ce qu’on a appelé la « génération morale » estiment  que les attaques doivent être mesurées et aussi peu souvent que possible violentes, et moins encore polémiques.

Moi qui suis bien plus âgé que cette génération-là et qui ai assisté, dans les journaux, à l’Assemblée nationale, dans les rues, à des agressions verbales incommensurablement plus étendues que celles que l’on tolère aujourd’hui, je n’ai pas ces scrupules et je regrette que la liberté d’expression soit bridée par une certaine autocensure que je juge, pour ma part, hypocrite.

Croit-on que, lorsque la Nouvelle Vague est arrivée, elle a ménagé la respectabilité, l’honneur, la conscience professionnelle de tous ceux qu’elle a voués aux gémonies, les cinéastes de la Qualité française ? Et imagine-t-on ce qu’en mai 68 on a pu entendre comme fraîches insultes sur les uns et les autres ?

J’ai employé « fraîches » à dessein : c’est un mot issu d’un monde vigoureux, robuste, conquérant. Et même si je rejette par toutes mes pores certaines attitudes politiques ou philosophiques, certains mouvements ou partis, j’apprécie que leur discours soit fier, assuré, fervent, alors même que nous paraissons vivre dans un monde de consensus mou, d’indifférence généralisée, où tout se vaut, puisque tout ne vaut rien.

Et encore n’ai-je pas connu les polémiques roboratives d’Avant-guerre (des deux guerres) où on avait – si je puis dire – le courage de sa haine, en tout cas le courage de ses opinions et où un mort ne se trouvait pas paré de toutes les vertus au moment même où il décédait.

Sans doute connaît-on le nom de Roger Salengro, qui a baptisé beaucoup de rues dans toute la France. Salengro, maire socialiste de Lille, fut accusé par plusieurs journaux (en premier lieu par Gringoire, hebdo d’extrême-droite, mais L’Humanité avait donné de la voix aussi), fut accusé, donc, d’avoir déserté pendant la Guerre (de 14). Au bout d’une campagne ignoble, il s’est suicidé ; eh bien savez-vous ce que Gringoire a titré le lendemain ? : « Salengro déserte pour la seconde fois ! »

C’est immonde, nous sommes d’accord ; mais ça porte au moins témoignage qu’on ne retourne pas sa veste ; aujourd’hui, tout le monde respecte et aime chacun en façade, mais les coups en douce sont plus nombreux et plus virulents – et plus pervers ! ô combien !! –

Tout cela, qui nous a entraînés bien loin du cinéma, mais je ne me vois pas ajouter de l’eau claire à mon vitriol, quand j’écris avec cette encre…

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