Le garçon aux cheveux verts

Mettons la guerre hors la loi, fouchtra !

Il me semble qu’il y a des gens qui devraient, a posteriori se réjouir d’avoir été vilipendés, persécutés ou exécutés. Que demeurerait-il aujourd’hui d’André Chénier ou de Robert Brasillach si un sort contraire à leurs espérances ne les avait pas conduits à la peine capitale ? Que resterait-il de Joseph Losey s’il n’avait pas été victime de la chasse aux sorcières menée tambour battant par le sénateur Joseph McCarthy, qui aboutit à rejeter de l’Hollywood du lendemain de la Deuxième guerre des tas de protagonistes, dont certains avaient de la qualité ?

Losey, qui revêt pour beaucoup la figure iconique du martyre, était clairement, ouvertement communiste.

Pourquoi pas ? Certains séides de cette étrange peuplade ont eu du talent, voire du génie (Eisenstein, par exemple). Losey, c’est beaucoup moins assuré. Et ce n’est pas cette gnagnanerie plutôt ridicule du Garçon aux cheveux verts qui va le faire remonter dans mon estime, tant ce film mielleux et bêta apparaît après coup, sans la moindre once de génie, comme une œuvre de propagande toute dimensionnée au bénéfice du bon grand-papa Staline, sorte d’aïeul idéal qui endormait le monde en serinant des ponts-aux-ânes aussi remarquables que La guerre est une chose affreuse et méprisable et Malgré nos différences, nous sommes tous des humains magnifiques et nous nous valons tous quelles que soient nos apparences.

Personne ne peut contester, évidemment, ces deux affirmations, qui sont de la même évidence que celles qui professent que la Terre est ronde et qu’elle tourne autour du Soleil. Mais réaliser un film sur des évidences est un exercice scabreux. Et laborieux, en l’espèce.

Le jeune Peter Frye (Dean Stockwell), orphelin de guerre, arrive après plusieurs années d’errance dans des familles d’accueil, au foyer de Gramp (Pat O’Brien), brave et médiocre artiste de music-hall, au cœur absolument généreux, qui parvient à apprivoiser un gamin écorché vif qui n’a pas encore compris que ses parents ne reviendront jamais le choyer. Gramp possède le don inné de rassurer, d’apaiser, de calmer les angoisses d’un petit garçon qui a été jusqu’alors ballotté de partout. Et le meilleur du film est sans doute cet apprivoisement, la façon dont Gramp explique à Peter qu’il n’a rien à craindre de l’obscurité, si redoutée de tous les enfants du monde, puisque Il n’y a rien de plus dans le noir que dans la lumière.

Jusque là, nous sommes dans un récit gentil et un peu languissant. Et puis voilà qu’un jour sans aucune raison, Peter, après un shampoing dans son bain se retrouve doté de cheveux d’un vert particulièrement criard. Lui qui était regardé avec un certain émoi par les gamines de sa classe devient le souffre-douleur du fait de sa différence, comme on dit aujourd’hui. Le film de Losey date de 1947, année de ma naissance ; mais je peux bien proclamer Urbi et Orbi que dix ans après, si un de mes camarades était arrivé au lycée avec une coiffure aussi ridicule et aussi voyante, il aurait été pareillement moqué et sans doute aussi tolchoqué. Pourquoi ? Non pas du fait d’un racisme ou d’une méchanceté intrinsèques, mais parce que l’enfance est en soi cruelle et n’aime pas les différences. C’est particulièrement injuste et particulièrement ancré. On pleurniche désormais sur ces évidences.

Il y a pire, dans le film : un prêchi-prêcha pacifiste, d’une incommensurable niaiserie : tous les petits enfants victimes innocentes de la Guerre, des déplacements de population, de la cruauté des grandes personnes se dressent pour protester vigoureusement et mettre les conflits hors la loi. C’est à ce moment là que les gens sérieux décrochent et se rappellent, en riant dans leur barbe, que c’est le petit père des peuples, le bienveillant Josef Staline qui était derrière tout cela.

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