Le grand embouteillage

Affiche Le grand embouteillageFin de siècle.

Communions à nouveau sur la grande qualité du film, due notamment à la virtuosité du cinéaste et de ses scénaristes Zapponi et Maccari qui ont adapté une nouvelle de Julio Cortazar, toute nimbée, j’imagine, de ce décalage léger et inquiétant avec la réalité, de ce talent fabuliste qu’offre la littérature argentine, Cortazar à gauche, Jorge Luis Borges à droite et Adolfo Bioy Casares je ne sais où, courant qu’on a appelé réalisme magique.

Virtuosité qui permet de nouer les fils de toutes les histoires archétypiques des automobilistes coincés sur un tronçon d’autoroute à proximité de Rome, vers qui parviennent, d’ailleurs, des nouvelles d’autres embouteillages absolus dans toute l’étendue de la Péninsule.

Au fil des images, Comencini abandonne la plupart des personnages qu’il avait posés au début du film, en découvre d’autres, noue d’autres histoires et, paradoxalement, le spectateur accepte ce vaste panoramique sans rechigner, sans réclamer un retour vers la dispute du couple Irène/Annie Girardot-Carlo/Fernando Rey, sur le sort de la jeune femme (Eleonora Comencini) contrainte de quitter le taxi qu’elle ne peut plus payer, celui de l’obsédé inquiétant Patrick Dewaere ou des quatre maffieux, qui, tout en se rinçant l’œil, font mine de ne pas s’apercevoir du viol de Martina (Angela Molina) par de petites racailles qu’on croirait copiées de celles d’Orange mécanique.

LE-GRAND-EMBOUTEILLAGE-HD-0-rec.mkv_snapshot_00.13.17_2014.07.16_04.23.15Alors qu’on pourrait craindre hétéroclites ces tranches de vie et de misère – et, de fait, elles le sont – les coups de projecteur un peu substantiels donnés à certaines vignettes (l’arrogance de l‘advocato socialiste Benedetti/Tognazzi, la louche complaisance envers Montefoschi/Mastroianni du couple Pompeo/Gianni Cavina-Teresa/Stefania Sandrelli, la rencontre improbable du livreur/Harry Baer et de la routarde Martina/Angela Molina) ne captent pas exclusivement l’attention, simplement la focalisent un temps.

Le-Grand-embouteillage-prend-en-otage-Arte-ce-soir_portrait_w858Je n’ai pas souvenance dans ma longue carrière de cinéphage d’avoir vu un tel talent, une telle fluidité dans le balayage de cent actes divers, jamais frustrante, jamais désinvolte. Et puis cette glaciation qui vient tout doucement et la fin avec le petit garçon endormi sur la banquette arrière et la tristesse calme de sa mère, qui a vu des médecins, a espéré un miracle à Lourdes et se rend à Naples où on lui a dit qu’un magnétiseur…

Pour autant je ne hausse pas mon appréciation au niveau maximal. Sans doute parce que le discours, qui se veut édifiant et sarcastique est un peu dévoré par le brio même de la réalisation et qu’à force de vouloir commenter les illusions, réelles ou prétendues telles du Progrès technique, on moralise un peu trop, on didactise un soupçon au delà de ce qu’il faudrait. Il y a, à mon sens, une épaisseur de trait en trop dans Le grand embouteillage. Très fine, très ténue, mais c’est déjà miracle que d’avoir réalisé un film si intense…

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