Le guépard

Affiche Le guépardLes statues sont usées.

C’est ce que j’ai vu de mieux du chichiteux Visconti mais ça ne va pas me faire hausser mon appréciation beaucoup au dessus de la moyenne ; disons que, si la chose était possible, j’aurais mis 4,5, peut-être influencé, d’ailleurs, par la belle image de la fin où, à la sortie du bal, sur une place pouilleuse, le Prince Salina (Burt Lancaster) tombe à genou au passage d’un prêtre qui va porter les derniers sacrements à un malade.

Le film m’avait paru moins long lorsque je l’avais vu sur l’écran, il y a cinquante ans, sans doute parce que la richesse des décors, le chatoiement des couleurs, le charme des musiques avaient dû m’impressionner. Et puis mon œil était alors moins critique que celui d’aujourd’hui, qui capte les longueurs, le nombre considérable de scènes et de personnages superflus ou, plutôt, qui cassent le rythme.

Car, de mon point de vue, la longueur intrinsèque d’un film n’est jamais excessive, lorsqu’il est animé par un souffle, une cadence, une ponctuation qui font qu’on ne s’y ennuie pas à un moment donné et qu’on attend chaque nouvelle image avec envie. Un autre film qui, d’une certaine façon, montre aussi la fin d’un monde, Autant en emporte le vent, dure bien plus de quatre heures (contre trois au Guépard) mais ne souffre pas de mêmes défauts de construction.

GuépardÀ quoi riment, par exemple, les séquences qui montrent les combats des Garibaldiens contre les troupes napolitaines ? Outre qu’elles sont atrocement mal filmées et ne donnent aucune impression de crédibilité qu’on est en droit d’attendre des scènes de bataille, elles alourdissent paradoxalement le récit sans rien lui y apporter. Autre exemple, bien différent : les interventions de Francisco Tumeo (Serge Reggiani), fidèle aux Bourbons dont les propos arrivent comme cheveux sur la soupe. Ou bien il fallait choisir d’insister sur le rôle en opposant la rectitude de l’organiste pauvre aux louches compromissions du Prince et de sa brillante, charmante, séduisante petite canaille de neveu, Tancrède (Alain Delon) ou bien il fallait effacer le personnage.

Voilà pourtant un film qu’on aimerait aimer : celui où le grand aristocrate Visconti prend conscience du basculement du monde civilisé, du monde dont il est issu et à quoi il appartient par toutes ses fibres vers la trivialité marchande : Nous avons été les guépards, les lions ; ceux qui nous remplaceront seront les chacals et les hyènes. Et, de fait, la place est désormais libre pour les habiles profiteurs des situations nouvelles, ceux qui, comme des bouchons de liège, cinglent sur la vague et surnagent toujours. Faut-il que tout change pour que rien ne change ? On ne fait que gagner un peu de temps sur l’avancée du Moloch de la vulgarité.

guepard_15Comme le Vieux Sud, agraire, littéraire et pastoral disparaissait par la victoire des Yankees, la Sicile grecque et romaine, constellée de palais magnifiques et d’oliviers séculaires mâchés par le soleil mourrait devant l’avancée inéluctable des idéologues. 150 ans après l’aventure de Garibaldi, on ne voit toujours pas très bien ce que la mythique Unité a apporté à l’Italie, qui aurait pu et dû demeurer dans l’heureux état d’éparpillement qui lui avait permis d’illuminer la Civilisation dans la multiple splendeur des États, Duchés, Principautés et Républiques qui la composaient comme une mosaïque admirable…

Burt Lancaster trouve dans Le guépard sûrement un de ses plus grands rôles ; Alain Delon est magnifique, virevoltant, charmeur, superficiel ; Claudia Cardinale est bien jolie mais n’a pas de profondeur. C’est un peu le problème du film.

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