Le Hobbit : un voyage inattendu

Stupéfiant !

Je me suis assis tout à l’heure dans une salle de cinéma dotée de tous les prestiges (et les mirages !) de la haute technologie d’aujourd’hui : un écran très large, des haut-parleurs dans tous les sens (dessus, dessous, derrière, à gauche, à droite) et, sûrement une projection numérique. Pour la première fois de ma vie, j’ai posé sur mes bésicles une épaisse paire de lunettes parce que le film était diffusé en 3 D. J’étais bien sceptique sur le procédé et me serais volontiers passé de l’innovation, mais la salle proche de chez moi où Le Hobbit était projeté n’offrait pas d’alternative.

Sceptique et réticent, d’abord, agacé, dans les premières minutes de la projection par ce qui me semblait une stéréoscopie améliorée et qui me blessait un peu les yeux par la brutalité des images projetées à vif. Et puis je me suis habitué, je suis même assez volontiers tombé sous le charme et j’ai été bluffé par certains effets spectaculaires : on a souvent l’impression que les oiseaux surgissent de derrière votre épaule et entrent, littéralement, dans le cœur de l’action. D’ailleurs j’imagine que, dans dix ans ou moins, le spectateur sera lui-même brindille, feuille d’herbe, banche d’arbre au milieu des protagonistes et, sûrement ensuite lui-même acteur des scènes qu’il regarde.

Est-ce que ça apporte quelque chose au film ? Sans doute non. Est-ce que ça apporte quelque chose au spectacle ? Sûrement oui. Car le cinéma n’est plus du cinéma, mais une sorte de gigantesque jeu vidéo où d’émotion en émotion, de choc en choc, de terreur en terreur, de massacre en massacre, de sauvetage en sauvetage on est perpétuellement sollicité comme dans un Grand Huit, le souffle coupé et l’estomac à deux doigts du retournement. Un montage ultra rapide, des scansions soigneusement balancées, des séquences paisibles, lumineuses permettant de reposer l’œil qui vient de s’épuiser pendant plusieurs minutes à suivre des cascades, des cavalcades, des chutes fantastiques, des rétablissements miraculeux, des combats qui feraient passer Homère pour un plaisantin de chef-lieu de canton.

Alors Le Hobbit ? On ne s’ennuie pas une seconde, on est absolument bluffé par de longues séquences étourdissantes de brio, le combat des hommes-montagne, par exemple, ou le long séjour dans l’antre souterrain des Gobelins. Ça marche, ça fonctionne, ça éblouit, ça rupine un maximum. On suit en haletant, en se demandant ce que les scénaristes vont bien pouvoir inventer pour l’image suivante. Un peu comme au cirque, avec les trapézistes, ou devant un feu d’artifice à chaque fusée tirée.

C’est bien, c’est très bien. Mais ça ne vaut pas tripette par rapport au sombre récit de la trilogie de La communauté de l’anneau. Jackson s’est emparé d’une mythologie qui fonctionne bien, reprend certains personnages, Gandalf ou Gollum, et met en images sur sept heures un petit bouquin de 200 pages destiné aux enfants alors que, sur la même durée, il avait dû résumer un ample ouvrage de 1500 pages. La noirceur de la première trilogie, la caractérisation des personnages en faisaient le prix et le poids. Dans Le Hobbit, passé la qualité extrême des effets spéciaux, qui se sont encore améliorés, évidemment, en dix ans (et s’amélioreront donc encore), on peine à s’attacher aux personnages.

Frodon, Sam Gamegie, Legolas, Gimli, Aragorn, Boromir (et Merry et Pippin, même) étaient nos complices, nos amis, nos proches. Aucun des Nains du Hobbit n’a la moindre substance, même leur Roi, Thorin (Richard Armitage), sans caractère et sans histoire. Peut-être, au bout des trois épisodes annoncés jusqu’en 2014 les choses se seront-elles mises en place et suivrons-nous avec la même intensité les aventures de la troupe et celle de la Communauté. Mais ça m’étonnerait beaucoup.

Performance spectaculaire sans doute. Excellente opération commerciale sûrement. Davantage, je ne crois pas.

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